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Thérèse
Boutinon était la fille de Samuel Boutinon des Hayes, ancien
lieutenant des Dragons du roi de Danemark, mais resté sans
emploi à son retour en France (des Hayes était protestant,
ce qui nuisit à sa carrière) et de Marie-Anne-Michelle Carton-Dancourt,
dite Mimi Dancourt, actrice de la Comédie française.
On a dit que Mimi Dancourt et sa soeur Manon auraient été
les filles du duc d'Aumont. Toutes deux avaient débuté à la
Comédie française le 10 décembre 1699. La soeur de Mimi, Manon,
devenue madame de Fontaine, fut également la maîtresse du
riche financier Samuel Bernard, dont La Pouplinière racheta
plus tard la résidence de Passy.
Le couple des Hayes eut trois enfants: Charles-Louis en 1713,
Françoise-Catherine-Thérèse en 1714 et Louis-Marie-Marc-Antoine
en 1720. En 1725, à la mort de Dancourt, Mimi hérita du château
de Courcelles-le-Roy, près de Gien, où la famille alla s'installer
l'année suivante, quoique Mimi, toujours en activité eût gardé
un pied-à-terre à Paris. Elle prit sa retraite en 1728, avec
une pension de 1000 livres. Quelques mois plus tard, Samuel
mourrait. Thérèse avait 14 ans et de belles dispositions pour
le théâtre.
C'est vers 1734 qu'on la voir apparaître dans la vie de la
Pouplinière, elle était alors sa maîtresse, et désignée sous
le nom de "la jeune muse", par La Pouplinière, Voltaire
et les proches. Voltaire la désigna par la suite "la
chimiste" ou "la philosophe"...
Elle était l'élève de Rameau, qui lui enseigna le clavecin
et l'harmonie. Plus qu'une élève, elle fut une disciple de
Rameau, et montra son attachement au maître en publiant, en
1737, un texte défendant ses théories (voir analyse
de la Génération Harmonique). Les témoignages,
et ses propres travaux, ne laissent aucun doute sur ses aptitudes
musicales et sur ses capacités intellectuelles. La défense
de ces théories musicales qui paraissaient si ardues au commun
des mortels fit beaucoup pour sa réputation d'intellectuelle.
La même année 1737, quelques mois après la publication de
son essai sur Rameau, elle épousa le riche fermier Général
Alexandre Le Riche de la Pouplinière. Les témoignages rapportent
que madame de Tencin et le Cardinal de Fleury auraient un
peu forcé la main de La Pouplinière, en lui donnant le choix
soit de régulariser sa situation soit de renoncer à la ferme.
Cet épisode assez romanesque valut à Thérèse une réputation
d'intrigante et de manipulatrice.
Le mariage se termina de façon rocambolesque en 1748. Après
leur séparation, Thérèse des Hayes, qui n'avait pas de fortune,
vécut de la pension que son mari se trouva contraint à lui
verser. Peu après son divorce, elle observa les premier symptômes
du mal qui devait l'emporter le 22 octobre 1756.

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Mon
coeur, mon sang est encore d'une agitation la plus vive.
Je suis d'une sensibilité et d'une vivacité à me jeter par
la fenêtre... Mon imagination est toujours en mouvement.
Ce sont des projets, des craintes, des langueurs, des fureurs ;
je suis folle !... Cet animal [La Pouplinière] l'autre jour
disoit : "Votre frère est heureux, il n'a que
les ondulations de la sensibilité, il n'en a pas les vagues.
Ah, c'est bien moi qui les ai, ces chiennes de vagues !"
"Lettre de Thérèse des Hayes" in Catalogue
de lettres autographes provenant du cabinet de M. A. Martin,
Paris, 1842, p. 25.
Je
ne désire jamais foiblement jusqu'à un verre d'orgeat, mais
je m'en passe quand j'y vois la moindre difficulté et ma
vie en est tissue, je ne me rebutte pas si facilement pour
tout : il y en a qui m'obstine et que je surmonteray
ou j'y moureray.
"Lettre de Thérèse des Hayes", in Mercure,
1912, p. 102.
Je
lus, il y a un mois, le petit extrait que Melle Deshayes
avait fait de l'ouvrage de l'Euclide-Orphée et je dis à
Mme du Châtelet : je suis sûr qu'avant qu'il soit peu
Pollion (La Pouplinière) épousera cette muse là. Il y avait
dans ces trois ou quatre pages une sorte de mérite peu commun ;
et tout cela joint à tant de talents et de grâce, fait en
tout une personne si respectable qu'il était impossible
de ne pas mettre tout son bonheur et toute sa gloire à l'épouser.
Que leur bonheur soit public, mon cher ami, et que mes compliments
soient bien secrets, je vous en conjure. Je souhaite que
l'on se souvienne de moi dans votre temple des Muses."
Voltaire, Lettre à Thieriot, 3 novembre 1737.
J'ai
été plongé dans les plus grandes douleurs, mon illustre
ami, et je suis toujours dans l'affliction ; j'ai perdu
le 22 du mois dernier madame de la Popelinière que j'aimais
de tout mon coeur et à qui j'avais bien des obligations,
elle méritait de survivre à ses malheurs ; c'étoit une femme
rare et qui dans quelque rang de la société qu'elle eut
été placée se seroit fait distinguer et considérer, elle
est regrettée généralement de tous ceux tant hommes que
femmes qui avaient le bonheur de la connaître ; elle
aimait à rendre service et à faire du bien sans aucune ostentation,
il est incroyable combien elle y était ingénieuse et habile
; elle me dit quelques jours avant sa mort qu'elle me laisserait
une marque de mon amitié, qu'elle se le devait à elle-même
autant qu'à moi ; je ne sais encore ce que c'est, on
en a parlé sans moi avec M. de la Popelinière qui a répondu
qu'il y aurait égard et que quand il n'y aurait rien d'écrit,
il savait ses intentions ; j'ai reçu de lui une lettre
tout à fait touchante et je viens de passer quelques jours
chez lui où j'ai excité ses pleurs et ses regrets par les
miens..."
Thieriot, Lettre à Voltaire, 4 novembre 1756.
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Bibliographie
:
Georges
CUCUEL, La Pouplinière et la musique de chambre au XVIIIe
siècle, Fischbacher, 1913, réimprimé par Da Capo, New York,
1971.
Georges
CUCUEL, "Les Dernières années de Madame de la Pouplinière",
Revue de Paris, mars-avril 1912, année 19, T.2.
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