29
juin 1740,
Lettre de Voltaire à Berger,
à propos de Pandore,
XXXV, 470 -

Je ne souhaite point du tout, monsieur, que M. Rameau travaille
vite ; je désire au contraire qu'il prenne tout le
temps nécessaire pour faire un ouvrage qui mette
le comble à sa réputation. Je ne doute pas
qu'il n'ait montré mon poème dans la maison
de M. de la Popelinière et qu'il n'en rapporte des
idées désavantageuses. Je sais que je n'ai
jamais eu l'honneur de plaire à M. de la Popelinière
et qu'il pense sur la poésie tout différemment
de moi. Je ne blâme point son goût, mais j'ai
le malheur qu'il condamne le mien. Si vous en voulez une
preuve, la voici : M. Thieriot m'envoya, il y a quelques
années, des corrections qu'on avait faites dans cette
maison à mon Épître sur la modération.
J'avais dit :
Pourquoi l'aspic affreux, le tigre,
la panthère
N'ont jamais adouci leur cruel caractère,
Et que reconnaissant la main qui le nourrit,
Le chien meurt en léchant le maître qu'il chérit.
On
voulait :
Le chien lèche en criant le
maître qui le bat.
Les
autres vers étaient corrigés dans ce goût.
Cela me fait craindre qu'une manière de penser aussi
différente de la mienne, jointe à peu de bonne
volonté pour moi, ne dégoûte beaucoup
M. Rameau. On m'assure qu'un homme(*) qui demeure chez M.
de la Popelinière et à l'amitié duquel
j'avais droit, a mieux aimé se ranger du nombre de
mes ennemis que de me conserver une amitié qui lui
devenait inutile. Je ne crois point ce bruit. Je ne me plains
ni de M. de la Popelinière, ni de personne, mais
je vous expose seulement mes doutes, afin que vous fassiez
sentir au musicien qu'il ne doit pas tout à fait
s'en rapporter à des personnes qui ne peuvent m'être
favorables
.
(*)
- Thieriot