J'expose
d'abord ces Avertissements pour la commodité du Lecteur.
Tout ce qui s'y trouve en italiques se trouve de même dans
la Réponse, pour que les citations se présentent plus promptement
à l'oeil.
Du
6e tome de L'Encyclopédie.
3e Alinéa. Cet avis, quoique déjà donné tant de fois, paraît
avoir obtenu peu d'attention de la part d'un Anonyme qui
vient d'attaquer quelques articles de musique de M. Rousseau.
(1)
"Je
crois, dit-il, devoir mettre des Editeurs de l'Encyclopédie
sur la voie des vérités qu'ils ignorent, négligent, ou dissimulent,
pour y substituer des erreurs, & MEME, des opinions."
La déclaration que nous venons de faire doit nous mettre
à l'abri d'une accusation hasardée. Du reste, l'Auteur ne
doit point regarder cette déclaration comme un aveu tacite
ou indirect de la justesse des remarques de M. Rousseau,
qui joint à beaucoup de connaissances & de goût en Musique
le talent de penser et de s'exprimer avec netteté, que les
Musiciens n'ont pas toujours, est trop en état de se défendre
par lui-même, pour que nous entreprenions ici de soutenir
sa cause. Il pourra, dans le Dictionnaire de Musique
qu'il prépare, repousser les traits qu'on lui a lancés,
s'il juge, ce que nous n'osons assurer, que la brochure
de l'Anonyme le mérite. Pour nous, sans prendre d'ailleurs
aucune part à une dispute qui nous détournerait de notre
objet, nous ne pouvons nous persuader que l'Artiste célèbre
à qui l'on attribue cette production en soit réellement
l'Auteur. Tout nous empêche de le croire : le
peu de sensation que la critique nous paraît avoir fait
dans le Public. Des imputations aussi déplacées que
déraisonnables dont cet Artiste est incapable de charger
deux hommes de Lettres qui lui ont rendu en toute occasion
une justice distinguée, & qu'il n'a pas dédaigné de
consulter quelquefois sur ses propres Ouvrages :
la manière peu mesurée dont on traite dans cette brochure
M. Rousseau, qui a souvent nommé avec éloges le Musicien
dont nous parlons (2),
et qui ne lui a pas manqué d'égards, même dans le
petit nombre d'endroits où il a cru pouvoir le combattre :
enfin, les opinions plus que singulières qu'on soutient
dans cet écrit, & qui ne préviennent pas en sa faveur,
entre autres, que la Géométrie est fondée sur la Musique ;
qu'on doit comparer à la Musique quelque science que ce
soit ; qu'un clavecin oculaire dans lequel on se bornerait
à représenter l'analogie de l'Harmonie avec les couleurs,
mériterait l'approbation générale, & ainsi du reste.(3)
Si ce sont là les vérités qu'on nous accuse d'ignorer,
de négliger ou de dissimuler, c'est un reproche que
nous aurons le malheur de mériter longtemps.
On
lit encore dans le 2e Alinéa ligne 9 : ce serait nous
rendre les tyrans de nos Collègues, & nous exposer à
en être abandonnés avec raison, que de vouloir les plier
malgré eux à notre façon de penser ou à celle des autres.
REPONSE.
(4)
Je
me vois à regret forcé, Messieurs, de quitter un Code de
Musique pratique déjà fort avancé ; mais je ne puis
me dispenser de me justifier auprès du Public.
Vous
m'accusez, vous m'attaquez, Messieurs, encore si vos citations
étaient fidèles ; mais vous les altérez, soit en les
détachant de ce qui précède & de ce qui suit, soit en
étendant les conséquences de ce que je dis, soit en donnant
à mes propositions un sens qu'elles n'ont point.
J'avais
dans ma brochure relevé quelques erreurs sur la Musique
dans lesquelles M. Rousseau était tombé. Il me semble qu'au
lieu d'écrire contre moi, vous auriez dû écrire pour lui.
Vous me renvoyez à un dictionnaire qu'il compose, mais quand
viendra-t-il ? En vérité, Messieurs, il aurait mieux
valu répondre à la difficulté qu'à la personne.
Je
ne reconnais point dans votre Avertissement, du moins en
ce qui me regarde, ces deus hommes supérieurs encore aux
éloges qu'ils se donnent mutuellement. Je n'y vois point
cet amour de la vérité qui pourtant, dans un Ouvrage comme
celui que vous avez entrepris, devrait marcher le premier.
Il me semble y reconnaître plutôt un Ecrivain enivré de
ses idées, qui oublie ce qu'il a entendu, ce qu'il a vu,
ce qu'il a lu, ce qu'il a écrit lui-même, & qui s'imagine
qu'on le croira sur sa parole ; qu'on ne confrontera
rien, & que tout ce qu'on y pourra répondre, ne fera
pas la moindre sensation dans le Public.(5)
Vous
débutez par la fin de la brochure, dont vous retranchez
la première phrase, & vous m'y faites prononcer en Maître :
Je crois devoir mettre les Editeurs de l'Encyclopédie
sur la voie des Vérités, &c. lorsqu'on y lit, 124.
Je ne me suis étendu dans des digressions sur un Art
dont on peut encore tirer quelques lumières que pour mettre
les Editeurs du Dictionnaire Encyclopédique sur la voir
des vérités qu'ils ignorent, négligent ou dissimulent, &c.
Ces
digressions ne qu'accessoires ; mais en les changeant
d'ordre, en les isolant, tronquant et simplifiant, vous
leur donnez une tournure qui, de simples proportions, en
fait des Lois. Elles n'ont même aucun rapport direct avec
les erreurs que je condamne. Ce ne sont que comme autant
de véhicules pour exposer les principes sur lesquels porte
la condamnation. J'y propose en temps certaines conjectures,
dont on pourrait tire, ce me semble, des conséquences favorables
à d'autres Art, à d'autres Sciences.
Les vérités que je vous accuse d'ignorer, de négliger ou
de dissimuler, sont des vérités par lesquelles je relève
les erreurs, & c'est à l'Auteur de ces erreurs que je
m'adresse, non à vous, Messieurs, que j'ai tout lieu de
considérer. (6)
Quant aux digressions dont je me
sers pour mettre l'Auteur sur la voie de ces vérités,
je n'attaque personne en particulier ; j'y témoigne seulement
désirer que les Géomètres & les Physiciens en général
voulussent bien éclaircir les doutes, & juger de mes
propositions sur les principes posés dans le petit extrait
que j'en donne à la fin de cet Ouvrage.
Je
sens bien que vous ne pouvez ignorer des vérités que j'ai
produites au jour ; mais souvent la critique se passionne
& s'aveugle, on ne pèse point assez ce qu'on écrit,
quelquefois même on va plus loin, on dissimule, comme le
prouve la note précédente. Mais n'y a-t-il, Messieurs, que
de la dissimulation, quand vous me faites prononcer en Législateur :
Je crois devoir mettre les Editeurs sur la voie &c.
sans dire quelle est cette voir dont je me sers pour autoriser
les vérités qui résument des erreurs : loin de là,
vous isolez mes conjectures, auxquelles vous donnez un air
de sentence, pour les mettre au nombre des vérités qu'on
vous accuse d'ignorer &c. si l'on doit vous croire ;
vous les tronquez, amplifiez, voue en changez même l'ordre,
pour cacher apparemment les rapports qu'elles ont entre
elles.
Vous
me faite dire alors que la Géométrie est fondée sur la
Musique ; qu'on doit comparer à l'Harmonie quelque
Science que ce soit 64 ; qu'un clavecin oculaire dans lequel
on se bornerait à représenter l'analogie de l'harmonie avec
les couleurs mériterait l'approbation générale 46 ; et ainsi
du reste.
Ne
croirait-on pas à vous entendre, Messieurs, que j'affirme
tout cela bien positivement ? tandis que de tels passages
ne se rencontrent dans mon écrit que comme des conjectures
relatives à ce qui précède.
Votre
ainsi du reste ne signifie-t-il pas que tout est
dans la brochure aussi positif que ce que vous citez ? Je
l'accorde, c'est me donner gain de cause. Que veut dire,
par exemple, ce Clavecin oculaire que vous m'attribuez
? C'est votre ouvrage, je vous l'abandonne. Voici ce que
je revendique comme de moi.
Au
milieu d'une discussion pour prouver que la mélodie &
les effets (7)
naissent de l'harmonie, je dis,
46, Si le R. P. Castel s'en est tenu à l'harmonie pour constater
son analogie avec les couleurs, je crois qu'il aurait eu
autant de partisans que de lecteurs.
Remarquez
bien mon doute par ces mots, je crois ; remarquez
en même temps la différence des deux phrases sur le même
sujet : il en est de même des autres. Est-il là question
de Clavecin oculaire ? pourquoi me faire affirmer,
lorsque je dis simplement, je crois ? Ma réflexion,
comme vous l'avez dû voir, n'a lieu qu'autant que l'Auteur
a confondu la Mélodie avec l'harmonie : aussi n'est-ce
qu'un conséquence de cette réflexion précédée & suivie
de quelques autres sur le même sujet, que je dis, 64. Ainsi
toute la Musique étant comprise dans l'harmonie, on en doit
conclure que ce n'est qu'à cette seule harmonie qu'on doit
comparer quelque Science que ce soit : c'est-à-dire,
que si l'on veut comparer une Science à la Musique (comme
on l'a déjà fait plus d'une fois, en prenant la Mélodie
seule pour l'objet) ce n'est qu'à l'harmonie qu'il la faudrait
comparer.
Ce
mot Ainsi, par où débute ma dernière conclusion,
veut dire simplement, il suit de là : pourquoi donc
l'avez-vous omis dans votre citation, comme aussi le mot
seule joint à harmonie ? Sans parler de l'extrême
différence entre cette citation & l'original. Une pareille
conduite est-elle excusable ?
Si
ce mot, Ainsi, se rapporte à ce qui précède, trouve-t-on
dans ce qui précède la moindre idée de comparaison entre
la Musique & d'autres Sciences ? J'ai simplement saisi,
conséquemment à la question agitée, une comparaison déjà
faite, où la Mélodie se trouve confondue avec l'harmonie,
pour en dire mon sentiment, sans décider.
Comment
peut-on en renvoyer aux originaux avec de telles infidélités
?
Je
n'ai point dit, Que la Géométrie est fondée sur la Musique,
cela ne se trouve en aucun endroit de l'Ouvrage. Vous concluez
de mes propositions ce qu'il vous plait, sans vous embarrassez
du sens qu'elles portent.
Nous
ne pouvons nous persuadez, dites-vous, que l'Artiste
célèbre à qui on attribue cette production (ces sont
les erreurs sur la Musique) en soit réellement l'Auteur :
(8)
si cela est, pourquoi reprocher à cet Artiste les obligations
qu'il vous a, les éloges & les égards de M. Rousseau
pour lui ?
Il
me semble que vous deviez simplement répondre à l'Anonyme
que vous supposez, & comme je l'ai déjà dit, répondre
à la difficulté plutôt qu'à la personne.
Si
vous m'avez rendu justice, un Partisan de plus ou
de moins n'établit point les réputations. Vous dites que
je n'ai pas dédaigné de vous consulter ; vous
deviez dire au contraire que vous m'avez fait l'honneur
de venir prendre de mes leçons, pendant quelques mois, sur
la Musique théorique et pratique, & que par conséquent
c'est vous qui m'avez consulté : quand vous m'avez
proposé des doutes, qui de nous les a éclaircis ? Que prouvent,
en ce cas, vos Eléments de Musique théorique & pratique,
que vous intitulez, vous même, selon les principes de
M. Rameau ?
Vos
éloges, vos égards ne paraissent pas plus sincères que ceux
de votre Collègue. Ne voit-on pas bien qu'en m'honorant
des titres d'Artiste célèbre & de Musicien,
vous voulez me ravir celui qui n'est dû qu'à moi seul dans
mon Art, puisque j'en ai formé le premier une Science démontrée,
après en avoir découvert le principe dans la Nature. Quel
éloge peut égaler la justice que vous & votre Collègue
auriez pu me rendre dans les conjonctures présentes ? Vous
soutenez mal aujourd'hui ce que, de concert avec l'Académie
des Sciences, vous avez signé vous-même. (9)
C'est
dans les faits, non dans les paroles que se reconnaissent
les vrais éloges, les vrais égards. Que signifie, par exemple,
cette Lettre sur la Musique Française ? Etait-ce à
la Musique Française qu'on en voulait, ou au Musicien Français
? (10)
Qu'on examine d'ailleurs, dans l'Encyclopédie, l'article
sur la Dissonance, on verra des preuves de ces prétendus
égards.
Pour
corriger l'erreur de quelqu'un, il faut bien la lui montrer.
Le peut-on mieux, en effet, qu'en l'avertissant qu'il s'accuse
lui-même d'un défaut de jugement & d'oreille en Musique,
lorsqu'il prétend tendre les accords par supposition susceptibles
de renversement, 72 ? Hé bien ! quand on le prouve à M.
Rousseau, vous dites qu'on lui lance des traits. Que ne
m'en lancez-vous de pareils ? Il n'y a rien d'offensant
pour ceux qui veulent s'instruire, que le défaut de vérité.
En
laissant, comme vous le dites, à votre Collègue le soin
de se défendre, s'il juge, ce que nous n'osons assurer,
(ces sont vos termes) que la brochure le mérite,
est-ce bien la vérité qui vous suggère ces mots, ce que
nous n'osons assurer ? Sont-ce là mes Ecoliers qui parlent
? Est-ce l'Auteur des Eléments de Musique, &c. selon
les principes de M. Rameau ?
Après
de tels procédés, Messieurs, n'ai-je pas raison de douter
que ce qui me regarde dans votre Avertissement fait de votre
main, doute d'autant plus sincère qu'il est fondé sur l'estime
que je ne puis encore vous refuser : au lieu que le
vôtre sur l'Anonyme (que vous supposez) n'a d'autres prétextes
que de pouvoir lui imputer gratuitement des opinions
plus que singulières ?
N'auriez-vous
pas mieux fait d'avouer les fautes, de les corriger, &
de profiter de l'avenir des principes qui les condamnent,
que de prendre, en voulant vous justifier, des voies indirectes,
& mêmes infidèles ? Je ne crois pas qu'elles préviennent
beaucoup en votre faveur : les opinions
plus que singulières, selon vous, qu'on soutient dans
ces écrits, sont votre ouvrage & non le mien, par la
singularité dont vous avez su les revêtir. N'en parlons
plus, & finissons en vérifiant votre ainsi du reste,
qui ne peut plus rouler que sur la fin de la brochure où
vous renvoyez, & où l'on ne trouvera qu'expositions
de principes, réflexions, propositions, questions, &
doutes de ma part, loin d'y avoir pris ce tons de Maître
que vous me prêtez : aussi n'ai-je envisagé cette fin que
comme des digressions propres à mettre sur la voie des
vérités &c. En voici le précis, avec quelques nouvelles
réflexions encore : vous avez si mal combattu les premières,
que loin de m'avoir rebuté, vous m'avez enhardi : si je
me trompe, lancez-moi pour lors des traits vraiment dignes
de vous ; il n'y a d'offensant pour ceux qui veulent
s'instruire, je le répète, que le défaut de vérité. Le savant
a de grands droits sur l'ignorant : mais l'homme qui pense
a les siens particuliers : tels sont vos sentiments
en faveur de M. Rousseau dans votre Avertissement.
S'il
est vrai que la Géométrie soit fondée sur les proportions,
& si le Corps sonore les fait entendre, voir, &
sentir même au tact dans le moment qu'il résonne ;
il est tout naturel d'en conclure que les Sciences (11)
doivent avoir une liaison intime
avec la Musique. 110. 113. 114. 116.
Je
ne vois que cette dernière conclusion d'où vous ayez pu
inférer que la Géométrie est fondée sur la Musique,
Mais sur qui retombe pour lors la singularité de l'opinion,
dès que l'opinion vient de vous ? Je crois cependant qu'il
serait beaucoup plus facile d'en prouver la possibilité
que la singularité. En effet, si l'on doit regarder le corps
sonore comme la racine des proportions, 113, 114. ce qui
tient à l'arbre doit nécessairement tenir à sa racine. Ou
vous devez en convenir, ou vous dédire de l'approbation
que vous avez donnée à ma Démonstration du Principe de l'Harmonie.
Allons
plus loin dans l'examen du fait. On peut dire d'abord que
le Phénomène du corps sonore est la première merveille que
la Nature ait encore soumise à notre raison.
Croire,
en effet, n'entendre qu'un son où l'on en distingue trois
différents, & le prendre toujours pour unique, quoiqu'on
le sache triple (12),
à qui pourrait-on persuader cette vérité, si on ne la lui
faisait toucher au doigt & à l'oeil : je dis fort
bien, au doigt & à l'oeil ; car l'oeil voit pour
lors frémir les cordes accordées au ton des sons que fait
résonner le corps sonore ave celui de sa totalité, il le
voit se diviser, & compte les partie, pendant qu'en
les effleurant avec l'ongle, le doigt en distingue les noeuds
d'avec les ventres de vibrations. Mais comme c'est à présent
un fait connu, on se familiarise avec cet espèce de miracle.
Voyons tout.
La
manière dont les proportions se produisent, confirme cette
merveille.
D'abord la proportion géométrique se fait reconnaître dans
1/2 1/4 du corps sonore 1,
& l'harmonique dans [1/3
1/5*] de ce même corps
sonore ; mais comme celle-ci résonne, pendant que l'autre
est muette, pour ainsi dire, on ne s'est encore attaché
qu'à l'harmonique ; ce qui mérite bien d'être approfondi.
A
laquelle de ces deux proportions donner la préférence ?
L'une est muette, l'autre se fait entendre, lorsque cependant
les parties de celle-ci, 1/3 1/5, sont plus petites que
celles de la première, 1/2 1/4, dont le plus d'élasticité
devrait par conséquent se prêter plus facilement aux impulsions
de l'air, qui en renvoie le son à l'oreille.
Voilà
du neuf ? te jusqu'à présent j'avais oublié d'en faire mention.
C'est sans doute pour nous faire sentir la supériorité des
rapports doubles ou sous-doubles, 1. 1/2 1/4 &c. que
la Nature a fait naître pour l'oreille une espèce d'identité
dans les octaves qui en sont formés (13),
de manière qu'elles se confondent dans leur principe &
ne s'en distingue point : au lieu qu'elle a permis
qu'on distinguât les moins parfaits, 1. 1/3 1/5 ; mais
seulement lorsque le corps sonore résonne seul, & qu'on
y donne la plus grande attention.
Remarquons
ici comment la Nature se développe, & combien la raison
doit en être satisfaite : se trouve-t-il aucun objet
palpable à nos autres sens, qu'on puisse comparer à ce que
nous venons de reconnaître ?
Ce
n'est pas tout ; cette même proportion géométrique
se reproduit dans les multiples (14),
1. 2. 4 pendant pendant que l'harmonique s'y change en Arithmétique,
1. 3. 5. l'une est stable, & ne varie point, parce qu'elle
doit toujours servir de racine, de base aux autres :
stabilité désignée par la même identité de chaque côté,
1. 1/2 1/4 ; l'autre varie pour donner effectivement
la variété que doit fournir l'arbre dans ses branches, variété
qui se multiplie par l'identité des Octaves, représentant
toujours leur principe, soit à l'aigu, soit au grave.
Dans
les Multiples les proportions dégénèrent beaucoup ;
car ce n'est que sur les différentes grandeurs des
corps comparés entre eux qu'elles peuvent se reconnaître,
le principe, par résonance, ramenant à lui tout les corps
plus grands que le sien, en les forçant de se diviser dans
ses unissons : cependant le Géomètre a toujours préféré
la proportion Arithmétique à l'harmonique, quelle en est
la raison ? 117. 118. Son bonheur, dans ses recherches est,
sans doute, d'avoir trouvé partout la même proportion géométrique.
S'agit-il
de donner une succession à l'harmonie ; son principe,
son générateur, sa racine, sa base, que j'appelle en conséquence
Basse fondamentale, forme encore de nouvelles proportions
géométriques, en associant à sa marche les termes qui lui
répondent, de part & d'autre, en mêmes rapports, &
promenant toujours avec chacun de ses termes, qui sont autant
de corps sonores, l'une des deux autres proportions.
On
ne doit rien attendre de nouveau de la proportion 1.1/,
1. 2. (15),
puisque ce ne sont que des Octaves qui se confondent dans
leur principe ; mais avec celle-ci 1.1/3, 1. 3. ce
principe établit des Modes, & avec cet autre,
1. 1/5, 1. 5. il fournit les moyens d'entrelacer ces
Modes, & de donner à la musique toute la variété
dont elle est susceptible : laissant à part la dissonance,
dont le goût a fait sentir que ces proportions pouvaient
se surcharger, comme d'un ornement propre à mettre comble
à cette variété. (16)
Quel ordre, quelle simplicité, quelle
fécondité, quelle précision !
On
suppose au corps sonore le même droit sur la proportion
Arithmétique que sur l'Harmonique, attendu que leurs Accords
sont également agréables, dès qu'ils sont analogues aux
sentiments qu'on veut exprimer : aussi les appelle-t-on
également Accords parfaits.
Tel
est le pouvoir prédominant de la proportion géométrique
dans la Musique, tel il est, dit-on, dans l'Architecture,
& tel il doit être, si je ne me trompe, dans bien d'autres
Sciences : je crois du moins mon soupçon fondé.
On
sait bien que chaque Art, chaque Science a ses propriétés
particulières ; 117. mais ne pourraient-elles pas dépendre
toutes d'un même principe ? Y a-t-il plus d'un principe
dans la Nature ? En pouvons-nous découvrir par un autre
canal que par celui de nos sens ? Et peuvent-ils nous
en offrir un qui leur soit aussi palpable que la résonance
du corps sonore, & d'où la certitude des rapports puisse
naître, comme elle naît ici, de l'effet qu'éprouve l'oreille
?
Lorsqu'on
dit que nos sens sont trompeurs, ce n'est certainement pas
de l'oreille dont on veut parler, puisqu'on dit en même
temps, superbissimum auris judicium. En effet l'oreille
commande au compas, pendant que le compas commande à l'oeil.
Jusqu'à
ce que les jambes du compas soient directement sur les sections
des cordes qui doivent faire entendre telle ou telle consonance,
l'oreille n'est point satisfaite : au lieu que l'oeil
ne peut juger d'aucun rapport sans le secours du compas,
encore peut-on s'y tromper.
Pourquoi
donc l'oeil est-il appelé dans la Musique (laissant le tact
part) lorsque les connaissances qu'on en peut tirer sont
absolument inutiles, & pour la jouissance de l'Art,
& pour la procurer ?
On
sait assez que toute préoccupation de l'esprit distrait
des fonctions naturelles : parc conséquent si l'on
pense que tels rapports sont entre eux comme 2. 3. par exemple,
& cela dans le moment qu'on en veut éprouver l'effet :
en satisfaisant l'esprit, l'oreille perd tous ses droits.
123. Il en est de même du Compositeur : s'il pense
seulement au degrés des intervalles qu'il veut employer,
si la tierce, la quinte &c. ne se présentent pas à son
imagination, avant qu'il sache ce que c'est, n'attendez
rien de lui qui puisse vous plaire. Telle est la Musique
du Géomètre que ne se guide que par le calcul : aussi
le Musicien n'a-t-il jamais voulu l'écouter. 121. 122.
Ce
fait est constant, toute préoccupation de l'esprit nuit
également au Compositeur, & à l'Auditeur, 123. :
ce qui doit autoriser, ce me semble, la conséquence que
je vais en tirer.
Mettons
de côté les erreurs dans lesquelles le Mathématicien a donné.
Examinons seulement quel a pu être son but, lorsque de concert
avec les plus grands Philosophes de tous les temps, il s'est
obstiné dans le projet d'approfondir un Art pour lequel
il a inutilement épuisé ses calculs. Sans doute que reconnaissant
qu'il fallait à l'esprit une certitude sur les rapports
qu'ont entre eux les différents objets qui frappent nos
sens, 113. & convaincu, selon cette maxime, superbissimum
&c. que ce droit n'appartient qu'à l'oreille dans
la Musique, il a fait tous ses efforts pour en tirer un
grand avantage ; mais après de vaines recherches, il
a tout abandonné à peu près dans le temps où le principe
qu'il cherchait s'est offert à ses yeux comme à son oreille.
Ce
principe est le Phénomène du corps sonore, Phénomène reconnu
depuis un siècle, & dont on n'a fait que s'amuser comme
d'un simple objet de curiosité, jusqu'à ce qu'enfin je l'aie
fait reconnaître pour le Principe de l'Harmonie, c'est-à-dire
de la Musique ; mais n'a-t-il de droits que sur cette
seule Science ? Pourquoi l'oeil, encore une fois, y
serait-il appelé, lorsqu'il y est inutile ?
Serait-ce
en pure perte, sans nécessité, que l'oeil emprunterait ici
le secours de l'oreille, lorsqu'elle n'a nul besoin du sien ?
Cependant la Nature ne s'explique point en vain,
112. L'on a quelquefois représenté au Géomètre que notre
raison était trop bornée pour pouvoir pénétrer jusque dans
les secrets de la Nature. En voici un, que faut-il de plus
à la raison, lorsque tout autre principe lui est interdit
par la voie des autres sens ? Croit-on n'en avoir plus besoin ?
Que sait-on, tout n'est pas découvert.
Je
ne dois mes découvertes en Musique qu'aux lois de la Nature,
dont le corps sonore nous présente un modèle (17),
& dont l'observation est en même temps si simple &
si lumineuse qu'aujourd'hui le Musicien, d'accord avec le
Géomètre, m'écoute, m'entend & m'imite. Que ne peut-on
les suivre de même, ces Lois, dans toutes les autres Sciences ?
Quel fruit n'en pourrait-on pas tirer, ne fût-ce que pour
en faciliter l'intelligence ?
Outre
les opérations du Géomètre diamétralement opposées à ces
Lois, il confond encore, du moins dans ses Eléments, le
rapport original de la proportion Arithmétique, & de
l'Harmonique avec ses renversements, & ses imitations
même, 117. 118. 119. 120. j'en ignore les conséquences,
mais la différence en est grande en Musique, selon l'exemple
que j'en donne, 121. où le Physique tient au Géométrique,
c'est-à-dire, où l'effet tire toute sa force de l'exacte
imitation de la Nature dans la proportion harmonique.
Voilà,
Messieurs, en quoi consistent, à peu près, les digressions
qui conduisent aux vérités dont je me suis servi pour condamner
les erreurs sur la Musique répandues dans votre Dictionnaire :
vous auriez pu les éviter en me communiquant vos Manuscrits
que je vous avais offert d'examiner, après m'être excusé
de pouvoir entreprendre tout l'Ouvrage ; mais votre
Avertissement fait assez sentir la raison qui vous en a
détourné : il vaut mieux ménager les Collègues que
le Public.
J'ai
l'honneur d'être, Messieurs, votre &c.
(1)
Voyez la brochure qui a pour titre : Erreurs sur
la Musique dans l'Encyclopédie. (retour
au texte)
(2)
Voyez les notes Accompagnement, p. 75 col. 2 vers
la fin ; Basse, p. 119, col. 2, & surtout
à la fin du mot chiffrer. (retour
au texte)
(3)
Voyez la brochure citée, p. 46, 64, & surtout depuis
la page 110 jusqu'à la fin. (retour
au texte)
(4)
Les chiffres dans le discours indiquent les pages des Erreurs
sur la Musique où je renvoie pour lors. (retour
au texte)
(5)
On dit dans l'Avertissement, le peu de sensation que
la critique paraît avoir fait dans le Public. Le dégoût
causé par l'extrême simplification de choses inutiles, dans
des Articles où l'on ne cherche qu'à s'instruire, aura bien
pu rejaillir sur une critique déjà faite. Il n'y a, d'ailleurs,
de vrais Curieux dans les Arts que les Artistes & les
Amateurs. Je me demande si les articles de géométrie on
dû faire une grande sensation dans le Public. (retour
au texte)
(6)
Ces Messieurs affectent d'ignorer la suite des erreurs,
&c. donnée en Mars 1756, où la méprise sur laquelle
ils se prétendent compris dans ces erreurs leur est si bien
spécifiée, même avec protestations d'estime &
d'amitié de ma part, qu'ils ne pouvaient plus y répondre
qu'au nom de M. Rousseau : mais leurs reproches, quoiqu'injustes,
& les moyens peu usités qu'ils emploient pour parvenir
à leur fin, avaient besoin d'une petite dissimulation. (retour
au texte)
(7)
Il ne faut point confondre l'effet de l'exécution avec celui
de la mélodie en particulier. (retour
au texte)
(8)
J'ai envoyé dans le temps à ces Messieurs (l'un ou l'autre,
c'est tout un) le premier exemplaire de cette production,
avec un mot d'écrit signé de ma main : ainsi leur doute
sur ce sujet n'est nullement recevable : on voit qu'il
part du même esprit que leurs citations. (retour
au texte)
(9)
Extrait de la démonstration du Principe de l'Harmonie. (retour
au texte)
(10)
Les Partisans de M. Rousseau allaient pour lors annoncer
de maison en maison qu'il paraîtrait bientôt un Ouvrage
qui devait extrêmement humilier Rameau. On a toujours cru
Messieurs les Editeurs dans le secret, attendu le peu de
part qu'ils y ont pris, lorsque cependant il s'y trouve
contradiction avec un des Articles de l'Encyclopédie, &
lorsque l'un d'eux avait ses Eléments de Musique à défendre.
Pour moi, j'affectai d'ignorer une critique qui devait tomber
d'elle-même, & me contentai de rétablir la réputation
de celui à qui nous devons le bon goût de notre Musique,
& qu'on n'avait feint d'attaquer, que pour mieux cacher
son jeu. (retour au texte)
(11)
On ne doit entendre que les Sciences soumises au Calcul.
(retour au texte)
(12)
V. les Expériences de la Génération Harmonique, surtout
aux p. 13 & 14. (retour au texte)
(*)
sous toutes réserves car les valeurs étaient difficiles
à lire sur la brochure originale. (retour
au texte)
(13)
Réponse sur l'identité des Octaves. (retour
au texte)
(14)
On appelle Parties aliquantes, ou Multiples, les corps plus
grands que celui auquel on les compare, & parties aliquotes,
ou Sous-multiples les divisions d'un corps quelconque.
(retour au texte)
(15)
Retranchez la première unité de chaque proportion, vous
aurez, dans les nombres donnés, les proportions, doubles,
triples, & quintuples, dont les dénominateurs sont les
seules consonances qu'il y ait en Musique, & qui naissent
de leur racine, ou corps sonore, bien entendu que ce qui
en est renversé les représente. 115. (retour
au texte)
(16)
Démonstration du Principe de l'Harmonie. (retour
au texte)
(17)
C'est un Tout divisible en une infinités de parties, qui
se fait reconnaître en un même temps pour le seul et unique
Tout, en forçant les corps plus grands que le sien à se
diviser en ses Unissons : joignons à cela ces deux
proportions, la Géométrique & l'Harmonique, dont les
propriétés que je viens de déduire, méritent assez qu'on
y réfléchisse ; puisque de la seule résonance de ce
Tout résultent dans le même instant, Racine, Arbre, Branches,
Proportions, Progressions, Division, Addition, Multiplication,
Quarrés, Cubes, &c. Que de principes dans un seul !
La Nature s'y serait-elle épuisée pour le seul plaisir de
l'oreille ? On ne saurait trop répéter des faits d'expérience,
dont j'espère que cette courte récapitulation fera peut-être
plus d'impression qu'elle ne paraît en avoir fait encore
jusqu'à présent. (retour au texte)