PYGMALION
Le
Théâtre représente l'atelier de Pygmalion, au milieu duquel
paraît la Statue.
Ouverture.
Scène première.
PYGMALION,
seul.
Fatal Amour, cruel vainqueur,
Quels traits as-tu choisis pour me percer le coeur ?
Je tremblais de t'avoir pour maître ;
J'ai craint d'être sensible, il fallait m'en punir;
Mais devais-je le devenir
Pour un objet qui ne peut l'être ?
Fatal Amour, cruel vainqueur,
Quels traits as-tu choisis pour me percer le coeur !
Insensible témoin du trouble qui m'accable,
Se peut-il que tu sois l'ouvrage de ma main ?
Est-ce donc pour gémir et soupirer en vain
Que mon art a produit ton image adorable ?
Fatal Amour, cruel vainqueur,
Quels traits as-tu choisis pour me percer le coeur ?

Scène
II.
PYGMALION,
CÉPHISE.
CÉPHISE.
Pygmalion, est-il possible
Que tu sois insensible
Aux feux dont je brûle pour toi ?
Cet objet t'occupe sans cesse,
Peut-il m'enlever ta tendresse,
Et te faire oublier ?
PYGMALION.
Céphise, plaignez-moi,
N'accusez que les Dieux,
J'éprouve leur vengeance,
J'avais bravé l'Amour, il cause mon tourment.
CÉPHISE.
Tu voudrais te servir d'un vain déguisement
Pour me cacher un amour qui m'offense.
PYGMALION.
Oui, je sens de l'amour toute la violence,
Et vous voyez l'objet de cet enchantement.
CÉPHISE.
Non, je ne te crois point ; quelque secrète chaîne
Te retient et s'oppose à mes voeux les plus doux.
PYGMALION.
Tel est l'effet du céleste courroux,
Qu'il m'impose la peine
D'une flamme frivole et vaine,
Et m'ôte la douceur de soupirer pour vous.
CÉPHISE.
Cruel, il est donc vrai que cet objet t'enflamme,
A de si vains transports abandonne ton âme,
Puissent les justes Dieux, par cette folle ardeur,
Punir l'égarement de ton barbare coeur.

Scène
III.
PYGMALION
seul, puis la Statue.
PYGMALION.
Que d'appas ! que d'attraits ! sa grâce enchanteresse
M'arrache malgré moi des pleurs et des soupirs !
Dieux ! quel égarement, quelle vaine tendresse.
O Vénus, ô mère des plaisirs,
Étouffe dans mon coeur d'inutiles désirs ;
Pourrais-tu condamner la source de mes larmes ?
L'Amour forma l'objet dont mon coeur est épris.
Reconnais à mes feux l'ouvrage de ton fils :
Lui seul pouvait rassembler tant de charmes.
D'où naissent ces accords ?
Quels sons harmonieux ?
Une vive clarté se répand dans ces lieux.
(L'Amour
traverse d'un vol rapide le Théâtre et secoue son flambeau sur
la statue - ce vol se fait sans que Pygmalion s'en aperçoive.
La statue s'anime.)
Quel
prodige ? Quel dieu ? par quelle intelligence,
Un songe a-t-il séduit mes sens?
La
statue descend.
Je
ne m'abuse point, ô divine influence ?
Elle
marche.
Protecteurs
des mortels, grands dieux, dieux bienfaisants ?
LA
STATUE.
Que vois-je ? Où suis-je ?
Et qu'est-ce que je pense ?
D'où me viennent ces mouvements ?
PYGMALION.
O ciel !
LA
STATUE.
Que dois-je croire ?
Et par quelle puissance
Puis-je exprimer mes sentiments ?
PYGMALION.
O Vénus, O Vénus ! ta puissance infinie ...
LA
STATUE.
Ciel ! quel objet ? mon âme en est ravie ;
Je goûte en le voyant le plaisir le plus doux,
Ah ! je sens que les dieux qui me donnent la vie
Ne me la donnent que pour vous.
PYGMALION.
De mes maux à jamais cet aveu me délivre ;
Vous seule, aimable objet, pouviez me secourir ;
Si le ciel ne vous eût fait vivre,
Il me condamnait à mourir !
LA
STATUE.
Quel heureux sort pour moi ! vous partagez ma flamme,
Ce n'est pas votre voix
Qui m'en instruit le mieux,
Et je reconnais dans vos yeux ce que je ressens dans mon âme.
PYGMALION.
Pour un coeur tout à moi puis-je trop m'enflammer ?
Que votre ardeur doit m'être chère,
Vos premiers mouvements ont été de m'aimer.
LA
STATUE.
Mon premier désir de vous plaire.
Je suivrai toujours votre loi.
PYGMALION.
Pour tous les biens que je reçois
Puis-je assez ...
LA
STATUE.
Prenez soin d'un destin que j'ignore,
Tout ce que je connais de moi,
C'est que je vous adore.

Scène
IV
L'AMOUR,
PYGMALION, LA STATUE.
L'AMOUR,
à Pygmalion.
Du pouvoir de l'Amour ce prodige est l'effet.
L'Amour dès longtemps aspirait
À former par ses dons l'être le plus aimable;
Mais pour les unir tous, il fallait un objet
Dont ton Art seul était capable.
Il vit et c'est pour toi ; pour toi ses tendres feux
Étaient de tes talents la juste récompense.
Tu servis trop bien ma puissance,
Pour ne pas mériter d'être à jamais heureux.
Jeux
et Ris qui suivez mes traces,
Volez, empressez-vous d'embellir ce séjour.
Venez, aimables Grâces,
C'est à vous d'achever l'ouvrage de l'Amour.
(Les
Grâces entrent en dansant.)
Empressez-vous,
aimables Grâces,
Hâtez-vous d'achever l'ouvrage de l'Amour.
(Les
Grâces instruisent la Statue et lui montrent les différents
caractères de la danse.)
Air.
Très lent
Gavotte
gracieuse
Menuet
Gavotte
gaie
Chaconne
vive
Loure
très grave
Passepied
vif (Les Grâces)
Rigaudon.
Vif
Sarabande
pour la Statue
Tambourin.
Fort et vite
CHOEUR
DU PEUPLE, derrière le théâtre.
Cédons, cédons à notr'impatience,
Courons tous, courons tous.

Scène
V.
PYGMALION,
LA STATUE, CHOEUR DE LA SUITE DE L'AMOUR, CHOEUR DU PEUPLE.
PYGMALION.
Le peuple dans ces lieux s'avance,
Amour, il connaîtra jusqu'où va ta puissance
Et quels biens ta bonté sait répandre sur nous!
Air
gai.
(L'Amour
se retire. Toute sa suite, ainsi que Pygmalion et la statue
l'accompagnent jusqu'au fond du Théâtre dans le même temps que
le peuple entre en dansant.)
PYGMALION,
au peuple.
L'Amour triomphe, annoncez sa victoire.
Il met tout son pouvoir à combler nos désirs,
On ne peut trop chanter sa gloire,
Il la trouve dans nos plaisirs !
CHOEUR.
L'Amour triomphe, annoncez sa victoire.
Ce dieu n'est occupé qu'à combler nos désirs.
On ne peut trop chanter sa gloire,
Il la trouve dans nos plaisirs!
Pantomime
niaise et un peu lente.
Deuxième
Pantomime très vive
PYGMALION.
Règne, Amour, fais briller tes flammes,
Lance tes traits dans nos âmes.
Sur des coeurs soumis à tes lois
Épuise ton carquois.
Tu nous fais, dieu charmant, le plus heureux destin.
Je tiens de toi l'objet dont mon âme est ravie,
Et cet objet si cher respire, tient la vie
Des feux de ton flambeau divin.
Air
gracieux. (Pour les Grâces, Jeux et Ris)
Rondeau
Contredanse.
FIN
DE PYGMALION