Naïs
ACTE
PREMIER
Le
Théâtre représente le rivage de l'Isthme de Corinthe, où doivent
se célébrer les jeux Isthmiques. Les deux côtés sont des
bois, la mer est dans le fond. L'Acte commence au jour naissant.
Scène
1
NEPTUNE,
sous un habit grec, PROTÉE,
SUITE de Neptune, PALÉMON, déguisé comme Neptune.
NEPTUNE.
Que ces paisibles bords,
Que ces bois sont charmants
Que j'aime la douceur de l'air qu'on y respire !
(Il
donne son trident à Protée.)
Suivez
Protée, allez, rentrez dans mon empire :
Vous paraîtrez bientôt sous les déguisements
Qu'il aura soin de vous prescrire.
Scène 2.
NEPTUNE,
PALÉMON, déguisés.
NEPTUNE.
Palémon, l'Amour est vengé.
Que je suis amoureux !
Que mon cœur est changé !
Je
ne suis plus ce Dieu volage
Aussi léger que les Zéphirs.
Le charme vainqueur qui m'engage
Est un penchant plus vif, plus doux que les désirs.
Je
ne suis plus, &c.
PALÉMON.
Sans amour empressé de plaire,
Vous fuyez l'ombre et le mystère :
Le Dieu s'applaudissait des succès de l'amant.
Pourquoi sous ce déguisement
Cacher une flamme sincère ?

Scène
3.
NAÏS,
qu'on entend & qu'on ne voit point encore.
NEPTUNE, PALÉMON, déguisés.
NAÏS,
qu'on ne voit point.
Accourez à ma voix, volez jeux enchanteurs,
Rassemblez-vous sur ce rivage.

Scène
4.
NEPTUNE,
PALÉMON, déguisés.
NEPTUNE.
Peut-on l'entendre et ne la pas l'aimer !
PALÉMON.
Par ces divins accents, Naïs peut tout charmer :
Mille amants sans lui plaire ont soupiré pour elle.
Que vous aurez de gloire à l'enflammer,
Et qu'il lui sera doux de vous rendre fidèle !
NEPTUNE.
Sans suite et sans dessein
Je parcourais ces lieux
J'entendis dans les airs ses chants mélodieux.
J'accourus... Que d'attraits !
En me voyant paraître
Son trouble accrut encor l'éclat de ses beaux yeux.
Elle me fuit sans me connaître ;
Mais un regard victorieux
Acheva d'allumer les feux
Que ses accents avaient fait naître.
PALÉMON.
Au plus illustre sang la Nymphe doit le jour,
Elle ordonne les jeux que l'Isthme vous apprête.
Avec l'éclat d'un Dieu paraissez à la fête.
Faites parler pour vous et la gloire et l'amour.
NEPTUNE.
Non, non, je ne serais que respecté peut-être :
J'aspire au bonheur d'être aimé.
L'amour seul peut flatter un coeur qu'il a charmé

Scène
5.
NAÏS,
seule.
Tendres oiseaux éveillez-vous,
Chantez. Votre bonheur renaît avec l'Aurore.

Scène
6.
TÉLÉNUS,
NAÏS.
TÉLÉNUS.
Avant que le Soleil sorte du sein des eaux,
Je vole sur vos pas, je préviens mes rivaux,
Je pense à vous quand tout sommeille.
Est-ce pour des tourments nouveaux
Que l'amour jaloux me réveille ?
NAÏS.
J'ai trop connu par vos soupirs
Les rigueurs de l'amour, et le poids de ses chaînes.
Vous me faites craindre ses peines,
Sans m'éclairer sur ses plaisirs.
TÉLÉNUS.
Ingrate, vos dédains sont le prix de mes larmes.
L'amour de votre coeur ne peut troubler la paix,
Et pour mieux triompher, il se sert de vos charmes.
Il devait vous donner pour l'honneur de ses armes
Un coeur plus tendre, ou moins d'attraits.
(On
entend le prélude de la fête.)
NAÏS.
On vient. De vos fureurs calmez la violence.
Ne troublez point nos Jeux par vos transports jaloux :
Rien n'apaiserait mon courroux,
Et je sais haïr qui m'offense.
(Entrée
de différents quadrilles qui doivent former les Jeux Isthmiques.

Scène
7.
NAÏS,
TÉLÉNUS, ASTÉRION, SUITE DES PEUPLES DE CORINTHE, DE L'ISTHME,
ET DE GRÈCE.
ASTÉRION,
à Naïs.
Que ce jour consacré par le reconnaissance
Est cher à mon coeur amoureux !
Neptune fait régner la paix dans ces beaux lieux.
Nous venons avec vous célébrer sa puissance :
Nymphe, du sein des mers
Ce dieu verra nos jeux,
S'embellir par votre présence.
NAÏS.
Peuples d'un Dieu puissant méritez les bienfaits.
Nos jeux vont vous ouvrir les chemins de la gloire :
Jouissez des honneurs que promet la victoire,
Sans cesser de jouir des douceurs de la paix.
TÉLÉNUS,
NAÏS, ASTÉRION ET LE CHŒUR.
Chantons le Dieu des Eaux, qu'à nos voix tout réponde
Que nos accords harmonieux,
Percent les abîmes de l'onde,
S'élèvent jusqu'aux cieux.
(Naïs
se place sur un trône, qui est à un des deux côtés du Théâtre.)
(Dispute
du Prix du Ceste, de la Lutte, & de la Course. Ce ballet
commence par six Athlètes qui viennent disputer le prix de la
Lutte. Ce pas est coupé par deux nouveaux Athlètes, qui disputent
le prix du Ceste. Il en survient un troisième qui défie au combat
tous les autres. Ceux-ci le refusent : il danse fièrement son
entrée. Une quadrille de jeunes Grecques paraît & dispute
le prix de la Course. La Lutte reprend ensuite. Le premier Athlète
se présente une seconde : personne n'ose le combattre :
il danse une seconde Entrée, & Naïs le couronne.)

Scène
8.
Une
symphonie brillante se fait entendre. On voit sur la Mer des
Barques légères & Galantes, leurs voiles de plusieurs couleurs
volent au gré des Zéphirs. Les Divinités de la Mer, déguisées
en Matelots de diverses Nations, paraissent sur ces Barques.
Protée & Palémon déguisés, sont à leur tête. Tous ces peuples
portent des rameaux d'or, des perles, &c.
NAÏS,
TÉLÉNUS, ASTÉRION, PROTÉE, PALÉMON, DIVINITÉS DE LA MER, NEPTUNE.
CHŒUR
DE DIVINITÉS DE LA MER, déguisées
(encore sur le vaisseau.)
Chantons Naïs, chantons le Dieu des mers.
De leurs noms glorieux que l'onde retentisse.
TÉLÉNUS,
NAÏS, ASTÉRION.
Ciel ! Quel spectacle ! Quels concerts !
CHŒUR.
Chantons Naïs, chantons le Dieu des mers :
De leurs noms glorieux que l'onde retentisse.
Qu'ils éclatent dans les airs ;
Qu'à jamais l'écho les unisse.
(Pendant
ce choeur toutes les Divinités de la mer débarquent. Neptune
déguisé paraît à leur tête.)
(Haut
à Neptune.)
Sur
ces paisibles bords quel dessein vous appelle ?
Par de coupables chants pourquoi troubler nos Jeux ?
Osez-vous à Neptune, à son nom glorieux
Unir le nom d'une mortelle.
NEPTUNE.
Tout cède au charme de vos yeux,
Et ce noble courroux vous rend encore plus belle.
Dans ces Jeux solennels vos chants mélodieux
Brillent d'une beauté nouvelle.
Quand on chante aussi bien les Dieux
On doit jouir comme eux
D'une gloire immortelle.
TÉLÉNUS,
à part.
Ciel ! Encor un rival ! O ! Contrainte cruelle !
NEPTUNE.
C'est la fête du Dieu des eaux
Qui nous conduit sur ce rivage.
Il a secondé nos travaux,
Nymphes souffrez que notre hommage
Eclate par des jeux nouveaux.
(Les
Divinités des Mers, déguisées, distribuent les richesses dont
elles son chargées aux Peuples qui sont en scène ; et se
disputent le prix de la Danse.)
NEPTUNE.
Au Dieu des Mers voulez-vous plaire ?
De l'amour dans vos Jeux peignez tous les appas.
Que sa flamme anime vos pas.
Qu'il règne sur ces bords comme il règne à Cythère.
TÉLÉNUS,
bas à Naïs.
Quoi ! Vous souffrez qu'un téméraire...
NAÏS.
Craignez de m'irriter.
TÉLÉNUS.
Je pars pour ne pas éclater ;
Mais qu'il redoute ma colère.
(Il
sort.)

Scène
9.
LES
ACTEURS DE LA SCÈNE PRÉCÉDENTE.
Le
Ballet de la dispute de la Danse reprend : il peint par
un pas de trois, les jeux badins & légers que l'amour inspire
dans le bel âge.
CHŒUR.
Règne, triomphe Dieu des mers
Ecoute nos chants de victoire.
Que nos Jeux à jamais instruisent l'Univers
De notre amour & de ta gloire.

ACTE
DEUXIÈME.
Le
fond du Théâtre représente une montagne coupée de bois, de cascades
naturelles, de routes fleuries, &c. Au pied, on voit l'entrée
d'une Grotte : les deux côtés sont des arbres sans symétrie
dont les branches touffues forment des berceaux de feuillage.
Scène
1.
NAÏS,
NEPTUNE déguisé.
NAÏS.
Ah ! Ne me suivez point.
NEPTUNE.
Quelle injuste offense !
NAÏS.
Un Inconnu pourrait troubler par sa présence
Le repos de ces lieux charmants.
Dans
ce riant séjour le divin Tirésie
Rassemble autour de lui les plaisirs innocents.
C'est ici qu'il jouit malgré le poids des ans,
Des loisirs d'une paisible vie.
NEPTUNE.
Du plus sombre avenir le voile ténébreux
Devant lui tombe ou se déchire.
La nature et le sort se plaisent à l'instruire
Des prodiges secrets qu'ils cachent même aux Dieux.
Vous devez la naissance à son sang glorieux.
Et dans mon coeur sans doute il pourra lire.
NAÏS.
La destin se réserve un don si précieux.
On
peut se parer sans rien craindre
Des dehors les plus séducteurs :
On n'a point trouvé l'art de lire dans les coeurs
Les mortels seraient trop à plaindre.
NEPTUNE.
Mon sort serait moins rigoureux.
Qu'aurais-je
à craindre de vos yeux
S'ils pouvaient pénétrer jusqu'au fond de mon âme ?
Hélas ! pour la plus pure flamme
Qu'aurais-je à craindre de vos yeux ?
NAÏS,
bas.
Ciel ! Qu'entends-je...
NEPTUNE.
L'amour dont je bravais l'empire
Enflamme mon coeur pour jamais :
Vous voyez malgré moi les transports qu'il m'inspire.
Je m'expose peut-être aux plus cruels regrets ;
Mais j'en tais cent fois plus que je n'en ose dire.
On
croit devoir à nos appas
Un hommage ou feint, ou sincère.
Si vous semez quelques fleurs sur nos pas,
Leur éclat ne dure guère.
Vos coeurs volages n'aiment pas,
Tous vos voeux se bornent à plaire.
NEPTUNE.
Ah ! Ma flamme...
NAÏS.
Il est temps que vous quittiez ces lieux...
NEPTUNE.
Quoi sans savoir...
NAÏS.
Ici je ne suis point tranquille...
Je vous l'ai déjà dit... allez... dans cet asile
L'aspect d'un inconnu blesserait tous les yeux.
(Elle
l'entraîne hors du théâtre.)

Scène
2.
NAÏS,
seule.
Dois-je le croire ? Ah ! Dieux !
Fuyez tristes alarmes :
Sur le plus tendre coeur c'est régner trop longtemps.
Laissez-moi goûter tous les charmes.
Des nouveaux transports que je sens.
Ces
rapides traits de flamme
Qui triomphent malgré nous,
Amour sont les traits les plus doux
Que tu peux lancer dans notre âme.

Scène
3.
TÉLÉNUS,
NAÏS.
TÉLÉNUS.
Ma jalouse tendresse a dû vous alarmer :
Voyez-moi désormais d'un oeil plus favorable,
Des soins plus doux vont m'animer.
Je sens que pour se faire aimer,
Il faut savoir se rendre aimable.
NAÏS.
La jalousie a des fureurs
Qui peuvent nous paraître à craindre ;
Mais ses tourments & ses erreurs
Sont des maux qu'on ne saurait plaindre.
Cessez d'être jaloux, vous serez plus heureux.
TÉLÉNUS.
C'en est fait... Mais que vois-je ? Une gaieté nouvelle
Ranime tous vos traits et se peint dans vos yeux !
NAÏS.
Pourrait-il pénétrer !...
TÉLÉNUS.
A mes soins amoureux
Vais-je trouver moins rebelle ?
Non
je ne serai plus ni inquiet, ni jaloux.
Je verrai mes rivaux sans trouble, et sans courroux.
Du divin Tirésie ils viennent tous apprendre
Le destin qu'ils doivent attendre ;
Mais mon coeur ne connaît d'autre Oracle que vous.
NAÏS.
Je dois voir Tirésie... on pourrait le surprendre.
(En
partant.)
Je
doute qu'il cède à leurs voeux.
TÉLÉNUS,
qui la retient.
D'une âme trop sensible excusez la faiblesse.
Ne craignez plus de ma tendresse
Ces éclats toujours odieux
Mais ce jeune Etranger qu'on a vu dans nos jeux...
Ah ! Si mon sort vous intéresse...
NAÏS.
Non vous ne serez plus inquiet ni jaloux.
Vous verrez vos Rivaux sans trouble et sans courroux.
(Elle
s'échappe et elle entre dans la grotte de Tirésie.)

Scène
4.
TÉLÉNUS,
seul.
Elle rit du trait qui me blesse.
Ah ! je sens ma fureur prête à se rallumer...
Cessez
soupçons jaloux, cessez de m'alarmer.
J'ai vu dans le regard de l'objet que j'adore
Des présages flatteurs qui doivent vous calmer.
L'amour semblait les animer
Du même feu qui me dévore.
Son coeur, s'il n'aime pas encore,
Est du moins sur le point d'aimer.
Cessez soupçons jaloux, &c.

Scène
5.
ASTÉRION,
SUITE DE BERGERS, DE BERGÈRES ET DE PÂTRES ;
TÉLÉNUS, SUITE DE PEUPLES.
ASTÉRION.
Les ennuis de l'incertitude
Sont le supplice le plus rude
Des tendres amants.
Que ce jour enfin nous éclaire :
Apprenez ce qu'il faut que notre amour espère
De nos soins et de nos tourments.
Les ennuis, &c.
Tendres
Bergers, Troupe heureuse et chérie,
Le Divin Tirésie
A l'attrait de vos jeux ne résista jamais.
Nos exploits dans vos champs ont ramené la Paix :
A votre tour secondez notre envie.
Chantez ;
que vos accords brillent dans ce séjour :
Que les fleurs sous vos pas y paraissent éclore.
Qu'on n'y respire que l'amour,
Et les plus doux parfums de Flore.

Scène
6.
TIRÉSIE,
NAÏS, SUITE DE TIRÉSIE, TÉLÉNUS, SUITE ; ASTÉRION ;
SUITE DE BERGERS, DE BERGÈRES ET DE PÂTRES.
TIRÉSIE,
à Naïs, sur le bras de laquelle il est appuyé.
La voix des plaisirs m'appelle,
Cessez, cessez de m'arrêter.
La voix des plaisirs m'appelle :
Eh ! pourquoi lui résister ?
Le coeur ne doit écouter qu'elle.
(Aux
Bergers.)
Reprenez
vos concerts charmants.
Chantez,
riez sans cesse,
Aimable jeunesse
Jouissez de votre printemps.
Cédez à la tendresse,
Aimez, le temps presse
Connaissez le prix de vos beaux ans.
CHŒUR
DE LA SUITE DE TIRÉSIE.
Chantez, riez sans cesse,
Aimable jeunesse
Jouissez de votre printemps.
Cédez à la tendresse,
Aimez, le temps presse
Connaissez le prix de vos beaux ans.
(Pendant
ce choeur, Tirésie & Naïs vont s'asseoir sur un lit de Mousse,
qui est placé à l'un des côtés du théâtre.)
(Les
Bergers & Bergères forment un Ballet autour de Tirésie ;
ils lui offrent des fruits et des fleurs.
TIRÉSIE.
D'un voile épais mes yeux pour toujours sont recouverts.
Mais Jupiter m'éclaire, il soutient mon courage,
Et sa faveur me dédommage
Du spectacle de l'Univers.
Mes ans sans m'accabler s'écoulent d'âge en âge,
J'ai présents tous les temps, tous les être divers :
Des peuples amoureux qui volent dans les airs
J'entends, j'explique le langage ;
L'avenir, pour moi sans nuage,
Se peint dans leurs tendres concerts.
Venez
tous, venez m'apprendre
Le sort qu'auront vos soupirs.
Ouvrez-moi votre coeur, le mien à vous entendre
Retrouve encor le charme des désirs.
Je plains les maux d'une âme tendre,
Et je partage ses plaisirs.
Venez tous &c.
(On
danse autour de Tirésie.)
UNE
BERGÈRE, à Tirésie.
Au Berger que j'adore
Je parle, ou pense tout le jour :
Du soir au lever de l'Aurore
Son image encore
Occupe, et flatte mon amour.
Je ne demande point s'il sera volage,
De son coeur tout doit m'assurer ;
Mais ne puis-je pas espérer
De m'aimer encor davantage ?
TIRÉSIE.
Non, non, vous jouissez du bonheur le plus doux.
Rendez grâce à l'amour, il a tout fait pour vous.
(Une
jeune Bergère veut s'approcher de Tirésie, elle en est écartée
par deux Pâtres, qui lui coupent le chemin, & qui veulent
se faire écouter avant elle ; les Bergers les éloignent,
elle approche, & elle chante la Musette suivante.)
UNE
JEUNE BERGÈRE, à Tirésie.
Je ne sais quel ennui me presse :
Est-ce une peine ? Est-ce un plaisir ?
Je ne vois plus sans rougir
Un Berger qui me suit sans cesse.
Et chaque regard qu'il m'adresse
Semble lui coûter un soupir :
Dites-moi quelle ardeur le presse,
Est-ce un peine ? Est-ce un plaisir ?
Je le crains & ne puis le fuir ;
Il m'inquiète & m'intéresse.
J'ai beau languir, gémir, souffrir.
Je chéris jusqu'à ma tristesse,
Dites-moi d'où naît ma faiblesse ;
Mais gardez-vous de m'en guérir.
TIRÉSIE.
Ne craignez point d'entendre
L'heureux Berger pour qui vous soupirez.
Ce n'est que d'un coeur aussi tendre
Qu'une Bergère doit apprendre
Le secret que vous ignorez.
(Pas
de deux du jeune Berger & de la jeune Bergère, les Bergers,
les Pâtres & les Bergères s'y joignent, et il devient général.)
ASTÉRION,
à Tirésie.
Nous portons les plus rudes chaînes
L'insensible Naïs doit-elle aimer un jour ?
Dussiez-vous redoubler nos peines,
Apprenez-nous le sort que nous garde l'Amour.
(Les
Oiseaux qui sont sous les berceaux de feuillages paraissent
s'éveiller.)
TIRÉSIE.
Tout semble s'animer sur ce naissant feuillage.
Heureux Oiseaux l'Amour veut-il vous inspirer ?
Quels sons brillants !... Quel doux ramage !
L'avenir va se déclarer.
(Les
Oiseaux chantent : ils prononcent l'Oracle ; Tirésie
l'explique à mesure qu'ils le prononcent.)
TIRÉSIE.
Ciel ! Qu'entends-je... Brisez vos fers :
Craignez du Dieu des Mers
La fureur vengeresse...
Quel est cet Inconnu ? Quel éclat ! Quels concerts !
Sous ses pas quels gouffres ouverts !...
Naïs un doux penchant te presse,
L'Amour triomphe & je te perds.
(Il
rentre dans sa Grotte.)

Scène
7.
NAÏS,
TÉLÉNUS, ASTÉRION, SUITES, BERGERS, &c.
CHŒUR.
Quel Oracle ! O Neptune ! O fatale colère.
(Les
Bergers sortent.)

Scène
8.
NAÏS,
TÉLÉNUS, ASTÉRION, SUITE,
ASTÉRION.
De coupables Concerts ont armé le courroux
D'un Dieu redoutable et sévère.
TÉLÉNUS,
à Astérion.
Courons fléchir ce Dieu jaloux
En versant tout le sang d'un Rival téméraire.
TÉLÉNUS,
ASTÉRION, CHŒUR.
Aux armes, vengeons-nous :
Que la mort, & la flamme volent :
Qu'elles l'immolent
A notre courroux.
(Naïs
sort pendant ce Choeur.)

ACTE
TROISIÈME.
Le
devant du Théâtre représente un promontoire dont la Mer baigne
le pied. Les deux côtés sont couverts d'Orangers, de Myrtes
& de Citronniers. La perspective du fond, est la Mer &
l'Horizon. On y voit à la rade les Barques brillantes qui ont
paru aux jeux Isthmiques. L'acte commence sur la fin de la nuit.
Et le théâtre s'éclaire de manière insensible pendant la première
scène.
Scène
1.
NEPTUNE,
déguisé.
La jeune Nymphe que j'adore
Paraît au jour naissant dans cet heureux séjour.
Elle semble y prêter des charmes à l'Aurore
Dont elle chante le retour.
Doux moments hâtez-vous de naître,
Obscure nuit, fais place au jour :
En te pressant de disparaître,
Pour la première fois favorise l'Amour.
Mais
déjà l'Horizon s'éclaire,
Les heures que le temps conduit,
Du jour vont ouvrir la barrière :
L'air se colore, l'ombre fuit.
Le feu des astres de la nuit
Cède à l'éclatante lumière
De l'astre brillant qui les suit.
Le jour paraît hélas ! Sans la Nymphe que j'aime.
Je n'entends point encor les accents de sa voix...
Ah ! Mon coeur me l'annonce, elle vient...
Je la vois.

Scène
2.
NAÏS,
NEPTUNE déguisé.
NEPTUNE.
O Ciel ! D'où naît ce trouble extrême ?
NAÏS.
Fuyez, Etranger malheureux.
Croyez-en mes vives alarmes.
Vos chants ont profané nos Jeux :
On vous menace, on court aux armes.
Vous avez contre vous les mortels et les Dieux.
NEPTUNE.
Que l'Univers entier me déclare la guerre ;
Je ne crains que votre rigueur.
Ah ! Si d'un doux espoir vous flattiez mon ardeur.
Le Dieu qui lance le tonnerre
Descendrait en vain sur la terre
Pour me disputer votre coeur.
NAÏS.
Que peuvent d'un Mortel la force et le courage,
Contre mille ennemis armés pour son trépas ?
Partez... éloignez-vous... jeune Etranger, hélas !
Quel sort fatal sur ce rivage
A pu guider vos pas ?
NEPTUNE.
L'Amour me guide et sa flamme m'éclaire :
J'aspire au seul bonheur digne de vous charmer.
Mon coeur connaît le prix du retour qu'il espère
Par le plaisir qu'il goûte à vous aimer.
NAÏS.
Hélas ! Que les plus douces chaînes
Coûtent de pleurs et de soupirs !
L'Amour s'offre à nos coeurs précédé des plaisirs.
Il n'est suivi que par les peines.
CHŒUR,
derrière le Théâtre.
Allumez-vous rapides feux.
Volez, secondez notre rage.
NEPTUNE.
Ciel ! D'où partent ces cris affreux ?
NAÏS.
Ils sont le signal du carnage.

Scène
3.
On
découvre sur la Mer des vaisseaux qui voguent à pleines voiles
vers les Barques légères qui ont paru aux Jeux Isthmiques, &
qui sont à la rade. Télénus & Astérion, avec leurs Suites,
y paraissent armés & avec des torches ardentes.
NEPTUNE,
NAÏS sur le devant du théâtre, TÉLÉNUS, ASTÉRION et leurs SUITES
sur les vaisseaux dans la perspective.
PROTÉE & PALÉMON, déguisés, sur les Barques de Neptune qui
sont à la rade.
TÉLÉNUS,
ASTÉRION, PREMIER CHŒUR.
Allumez-vous rapides feux.
Volez, secondez notre rage.
PALÉMON,
PROTÉE, DEUXIÈME CHŒUR.
Tremblez audacieux.
Fuyez, craignez Neptune. Il est sur ce rivage.
NEPTUNE.
Quels transports furieux.
NAÏS.
Quelle vengeance !
NEPTUNE.
Quel outrage.
(Télénus
& Astérion abordent les Vaisseaux de Neptune ; prêts
à y mettre le feu.)
TÉLÉNUS,
ASTÉRION, PREMIER CHŒUR.
Allumez-vous rapides feux.
Volez, secondez notre rage.
Ciel ! O Ciel ! Quel sort rigoureux !
PALÉMON,
PROTÉE, DEUXIÈME CHŒUR.
Que les flots impétueux
Eteignent votre rage
Périssez tous, audacieux.
(Des
vagues immenses engloutissent les Vaisseaux de Télénus &
d'Astérion. La Mer reste agitée, & ne s'apaise qu'insensiblement.)

Scène
4.
NEPTUNE
déguisé, NAÏS.
NEPTUNE.
Les flots les ont punis.
NAÏS.
Quel supplice ! Je tremble.
Ah ! L'Oracle, leur destin, et la mer en fureur
Annoncent à mon coeur
Tous les malheurs ensemble.
NEPTUNE.
Que mon amour est alarmé
Des pleurs que je vous vois répandre !
Ne donnez-vous une pitié si tendre
Qu'au malheur d'un rival aimé ?
NAÏS.
Chaque instant accroît mes alarmes...
Oubliez de faibles attraits.
Que le ciel touché de mes larmes,
Fasse couler vos jours dans la plus douce paix.
Adieu : séparons-nous, pour ne nous voir jamais.
NEPTUNE.
Dieux ! Quel mélange de tendresse
De rigueur et d'effroi !
NAÏS.
Vous me verriez moins de faiblesse,
Si je ne tremblais que pour moi.
Un oracle fatal... Je crois toujours l'entendre,
Je crois voir sous nos pas mille gouffres ouverts...
Quel secours pourrait nous défendre
De la fureur du Dieu des mers ?
NEPTUNE.
Ciel ! Vous craignez Neptune, et ce Dieu vous adore.
NAÏS.
Dieux ! Neptune !... A mon coeur il pourrait aspirer ?
Ah ! Fuyez, craignez sa colère :
Par pitié pour moi sauvez-vous.
Que ne peut point un Dieu jaloux
Contre un mortel qu'on lui préfère ?
NEPTUNE.
Amour tu termines nos maux :
Cédez au transport qu'il m'inspire.
Terre, jusques dans son empire,
Ouvre un passage au Dieu des eaux.
(La
terre s'ouvre ; Naïs & Neptune s'abîment. Le théâtre
change ; il représente le Palais de Neptune.)

Scène
5.
Toutes
les DIVINITÉS DE LA MER :
NEPTUNE, & NAÏS qui paraissent dans le fond, à la
fin du choeur suivant.
CHŒUR.
Coulez ondes, mêlez votre plus doux murmure
A nos accords harmonieux.
Dans ce séjour délicieux
Plaisirs, faites régner cette volupté pure
Que vous répandez dans les cieux.
NAÏS
& NEPTUNE.
Que je vous aime !
De l'Amour même
Je crois entendre la voix.
Quels transports ! ... Quel bien suprême !
Redisons mille et mille fois,
Que je vous aime !
(Protée
rend le trident à Neptune.)
NEPTUNE.
Une Divinité nouvelle
Embellit ce séjour.
Sous mille traits riants, que les jeux & l'amour
Sans cesse volent autour d'elle.
CHŒUR.
Une Divinité, &c.
NEPTUNE.
Que Protée à ses yeux fasse éclater son zèle ;
(Avec
le choeur.)
Sous
mille traits riants, que les jeux & l'amour
Sans cesse volent autour d'elle.
(Le
Divertissement est formé par les Divinités des Mers, sous des
déguisements agréables, & il est conduit par Protée.)
NEPTUNE.
Cessez de ravager la terre :
Aquilons, aux mortels ne faites plus la guerre ;
Éole, enchaîne leur fureur.
Contredanse
générale.
FIN
DE NAÏS.