La
Lyre enchantée.
Le
Théâtre représente un Vallon champêtre, au pied du Montparnasse,
dont on voit les deux coteaux couverts de Palmiers & des
Trophées qui conviennent aux Muses et aux Arts. On voit la fontaine
d'Hippocrène qui y prend sa source, & serpente dans le Vallon.
Au somment du Mont, paraît le Temple de l'Immortalité.
Scène
Première.
PARTHENOPE.
Charme de mon vainqueur, doux accents de ma voix,
Formez avec mes yeux un si tendre langage,
Qu'il puisse écouter mille fois
Et mes serments & mon hommage.
Imitez les oiseaux qui chantent dans ces bois,
Accompagnez leur chant, secondez leur ramage ;
Vous plairez davantage
A l'Amant dont je fuis les lois.
Charme
de mon vainqueur, doux accents de ma voix,
Formez avec mes yeux un si tendre langage,
Qu'il puisse écouter mille fois
Et mes serments & mon hommage.
Linus
doit pour me voir s'échapper aujourd'hui :
Il vient, mais Uranie est encore avec lui.
(Elle
se retire.)
Scène
II.
LINUS,
URANIE.
URANIE.
Elève & fils du Dieu, que le Pinde révère,
Quand ma voix vous appelle aux concerts d'Apollon,
Et pourquoi chercher dans ce vallon
Et le silence & le mystère ?
LINUS.
J'y venais rêver à l'écart.
J'ai trouvé la nature en ce séjour plus belle ;
Pour mieux vous imiter je me conduis par elle ;
Et pour être digne de l'art,
J'en viens consulter le modèle.
URANIE.
Prenez un vol plus glorieux ;
Venez lire avec moi dans le secret des Dieux.
Chantez,
Linus, chantez les faveurs éclatantes
Du Dieu qui brille aux yeux de l'univers,
Les Titans renversés, & la rage mourante
Du serpent qui fouillait les airs.
LINUS.
Ce sublime effort m'épouvante.
C'est l'amant d'Issé que je chante.
UNRANIE.
Ce penchant aux douces erreurs
Annonce déjà la tendresse.
Gardez-vous, gardez-vous sans cesse
Du piège des folles ardeurs.
S'il
est des Dieux que l'Amour blesse,
C'est un jeu dont ils sont vainqueurs,
Sans qu'il en coûte à leur sagesse ;
Au lieu qu'à l'humaine faiblesse
Il coûte le repos des coeur.
Gardez-vous,
gardez-vous sans cesse
Du piège des folles ardeurs.
LINUS.
On peut chanter l'Amour sans ressentir sa flamme.
J'aime à peindre ses jeux sans éprouver ses fers ;
Il fait le charme de mes airs,
Sans faire encor le tourment de mon âme.
Je craindrai toujours ses rigueurs.
URANIE.
Gardez-vous, gardez-vous sans cesse
Du piège des folles ardeurs.
LINUS.
Rassurez-vous, Déesse...
(On
entend une brillante symphonie, Uranie se retire, Parthénope
arrive, la Lyre à la main, suivie de Faunes, de Sylvains &
de Dryades ses élèves, qui l'accompagnent en dansant.)
Scène
III.
PARTHENOPE,
LINUS, FAUNES, SYLVAINS & DRYADES.
PARTHENOPE.
Venez tous écouter ma Lyre.
Avec elle, écoutez mes chants.
L'Amour en forme les accents,
Et c'est le plaisir qu'elle inspire.
LES
CHOEURS.
Ecoutons, écoutons la Lyre.
L'Amour en forme les accents,
Et c'est le plaisir qu'elle inspire.
(On
danse au son de la Lyre de Parthénope ; c'est un Ballet champêtre
dans lequel les Faunes & les Dryades qui le composent montrent
plus de gaieté que de régularité dans leurs pas.)
PARTHENOPE.
Ranimez vos sons & vos pas,
Dansez, chantez, le plaisir vous appelle ;
Le ris font briller plus d'appas.
C'est la gaieté qui rend la jeunesse éternelle.
(Pendant
le Chant de Parthénope, les Faunes & Dryades continuent
leur Danse, & répètent. Ensuite le Choeur.)
Ecoutons,
écoutons la Lyre.
(Linus
paraît.)
Scène
IV.
LINUS,
PARTHENOPE.
PARTHENOPE.
Linus, que vous tardiez à répondre à ma voix !
Ces Muses que je crains, ont sur vous trop d'empire :
Je vous perdrai.
LINUS.
Non, ce n'est qu'à vos lois
Que Linus charmé veut se rendre.
Les trouverais-je ailleurs, ces charmes que je vois ?
Cette voix que j'adore, où pourrais-je l'entendre ?
PARTHENOPE.
Ah ! Si vous l'écoutez, vous la rendrez plus tendre;
LINUS.
Les Muses sur mon âme ont d'inutiles droits.
Mon esprit en vains se rappelle
Les chants que les neuf Soeurs m'apprennent chaque jour.
Mais que ma mémoire est fidèle
Quand vous chantez l'Amour !
PARTHENOPE.
Répétons nos airs tour à tour.
(Elle
commence.)
"Lorsque
Vénus sortit du sein de l'onde,
"Son regard sur la terre enchanta le désir.
"L'espoir de tous les coeurs vint bientôt se saisir :
"Et l'Amour achevant les délices de ce monde,
"Donna naissance au plaisir.
LINUS.
"Tour rend hommage à la beauté.
"Pour éclairer ses traits, le jour se renouvelle ;
"Pour la chanter, s'éveille Philomèle ;
"Le Ruisseau qui fuyait, devant elle arrêté,
"Trace son image fidèle ;
"Des pavots du Sommeil , la douce volupté
"Rend de son teint la fraîcheur éternelle.
"L'ordre de l'univers semble établi pour elle.
"Tout rend hommage à sa beauté.
PARTHENOPE.
Charmant élève que j'adore,
Si vous chantez l'Amour, qui peut y résister ?
Mais occupez-vous plus encore
A le sentir qu'à le chanter.
LINUS.
Ah ! Vous m'êtes garant de ce talent suprême,
Puisque c'est vous que j'aime.
ENSEMBLE.
Aimons-nous, répétons cent fois
Le charmant aveu de nos flammes.
Que l'accord touchant de nos voix
Egale celui de nos âmes.
PARTHENOPE.
Linus, si ton coeur est à moi,
Je veux me venger avec toi.
Les Muses condamnent sans cesse
Les Sirènes & leur amour :
Je veux qu'Uranie à son tour
En éprouve toute l'ivresse.
LINUS.
Vos efforts seraient impuissants.
PARTHENOPE.
Par un enchantement plus doux que redoutable,
(En
montrant la Lyre qu'elle tient.)
Qui
touche cette Lyre en tire des accents
Qui pénètrent les sens
D'un charme inévitable.
Uranie en ces lieux va presser son retour.
Elle y trouvera cette Lyre...
Pour mieux jouir de son martyr,
Cachons-nous ; elle vient...
(Parthénope
suspend à un arbre la Lyre enchantée, & sort avec Linus.)
Scène
V.
URANIE
seule.
C'est ici le séjour
Où le fils d'Apollon doit bientôt reparaître.
Attendons... Quel objet vient de frapper mes yeux !
Pourquoi cette Lyre en ces lieux ?
A l'une de mes soeurs elle appartient peut-être.
Voyons... en la touchant, amusons nos loisirs.
(Uranie
touchant cette Lyre, est étonnée du prélude qu'elle entend et
qui lui inspire aussitôt des chants d'Amour.)
"Douce
volupté d'un coeur tendre
"Triomphez de tous les plaisirs...
(Uranie
s'arrête avec surprise.)
Ah,
Dieu ! Que me fait-elle entendre !...
Mais je crains peu de m'y laisser surprendre :
Ce sont de vains accords qu'emportent les Zéphyrs.
"Douce
volupté d'un coeur tendre
"Triomphez de tous les plaisirs...
'L'Amour
cause quelques soupirs,
"Mais le bonheur doit en dépendre.
"Douce
volupté d'un coeur tendre
"Triomphez de tous les plaisirs.
Quels
sons touchants ! Je devrais les suspendre...
Linus,
mon cher Linus, quelle ardeur de te voir
Brûle mon âme impatiente !
Trop
d'intérêt pour toi commence à m'émouvoir,
Et mon amitié m'épouvante.
(Après
avoir rêvé quelque temps, elle touche encore cette Lyre, qui
rend des sons plus gais.)
"La
sagesse est de bien aimer,
"Et d'aimer toujours sans partage.
"On
est heureux si l'on peut s'enflammer ;
"Si l'on est constant on est sage.
"La
sagesse est de bien aimer,
"Et d'aimer toujours sans partage.
(Après
un moment de silence.)
Je
le sens bien, Linus, le bonheur de mes jours
Serait de t'adorer toujours.
(Elle
s'arrête avec étonnement.)
L'adorer,
... moi ? qu'ai-je dit ? je l'ignore.
Ma raison interdite accuse mes discours ;
Et mon coeur les répète encore.
Il
vient... comment cacher le feu qui me dévore ?
Scène
VI.
URANIE,
LINUS.
URANIE.
Suivez, chantez le Dieu qui paraît vous charmer ;
Je ne lui serai plus contraire.
Quand mon coeur brûle de vous plaire
Puis-je vous défendre d'aimer ?
LINUS.
Ah, Déesse ! Le puis-je croire ?
Non, non, ce serait en un jour
Trop d'ambition pour ma gloire,
Trop de triomphe pour l'Amour.
Amusons-nous
de la tendresse,
Qu'elle soit un jeu pour nos coeurs ;
Gardons-nous, gardons-nous sans cesse
Du piège des folles ardeurs;
URANIE.
Vous me lancez mes propres armes,
Quand je les mets aux pieds de mon vainqueur.
LINUS.
Eh bien, connaissez donc mon coeur.
Comme vous de l'Amour j'éprouve tous les charmes,
Dans ces lieux, loin de vous, je venais soupirer...
J'adore...
URANIE.
Ah ! De quel trait m'allez-vous déchirer ?
LINUS.
J'adore une Sirène, & je suis aimé d'elle.
Parthénope...
URANIE.
Quel nom ! Quelle honte mortelle !
LINUS.
Apollon lui-même en ce jour
Va couronner notre espérance.
(Un
prélude annonce l'arrivée d'Apollon.)
Mais
ce brillant concert annonce ici sa cour,
Et je vois le Dieu qui s'avance.
URANIE.
Comment éviter sa présence.
(Le
Parnasse s'éclaire : Apollon descend d'un côté de la Montagne,
suivi des Muses, Terpsichore arrive ensuite, suivie de ses élèves ;
les Faunes & les Dryades qui ont formé le premier Divertissement
accourent à ce Spectacle.)
Scène
VII.
APOLLON,
URANIE, LES MUSES, PARTHENOPE, LINUS, LES SIRENES,
FAUNES & DRYADES.
APOLLON
à Uranie.
Muse, rougissez moins d'un piège de l'Amour ;
Ce Dieu pour vous soumettre enchanta cette Lyre :
Sortez de ce délire,
Et de votre raison célébrez le retour.
(Apollon
donne la Lyre à Uranie, à la place de celle qu'elle avait, &
l'enchantement finit.)
Accourez,
Muses & Sirènes,
Venez seconder mes désirs.
Que vos talents unis forment les douces chaînes
Qui mènent aux plaisirs.
(La
réunion des Muses & des Sirènes se forme par un Ballet.)
PARTHENOPE.
Vole, Amour, prête-moi tes armes ;
Que le coeur de Linus s'enflamme chaque jour.
Que ne puis-je augmenter mes charmes
Pour ajoutez à son Amour.
CHOEUR.
Enseignez-nous vos jeux, brillante Terpsichore,
Que nos voix, que nos chants accompagnent vos pas.
Rendez-les plus légers encore ;
L'Amour vous fuit, il vole & ne nous quitte pas.
(Terpsichore
arrive : les leçons qu'elle donne aux Sylvains rendent
leur Danse plus régulière ; ils se mêlent aux Muses & aux
Sirènes.)
PARTHENOPE,
aux Muses.
Souffrez les Amours sur vos traces,
Muses, souvenez-vous toujours
Que l'esprit est sans les amours
Ce qu'est la beauté sans les grâces.
C'est
à l'Amour qu'il faut céder ;
Quel autre charme nous arrête ?
L'esprit peut faire une conquête ;
Mais c'est au coeur à la garder.
(Ballet
des Muses, des Sirènes, des Dryades, des Sylvains, ayant Terpsichore
à leur tête.)
FIN
DE LA LYRE ENCHANTEE
(fin de la Deuxième Entrée).