Lettre à Christin
Jean-Philippe Rameau




"to hide art by very art"
"cacher l'art par l'art même"



 

 



 


 

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Lettre de Rameau à Christin, secrétaire de l’Académie de Lyon, en réponse à un Mémoire  de cette Académie (rédigé par Bollioud-Mermet), 1741.

C’est sans réflexion, Monsieur, qu’on a publié que je n’ai rien déterminé dans mon Tempérament de Musique, puisque je donne moi-même, page 96 de ma Génération harmonique, Exe IX, les puissances d’une formule, par laquelle on prétend prouver ce qu’on avance et puisqu’on n’a fait, en cela, que d’exécuter à la lettre ce que j’ai prescrit : ainsi je n’en laisse pas simplement le soin aux curieux, comme on l’insère dans l’extrait. Si je donne ensuite un moyen auriculaire, ce n’est que pour me prester aux facultés des gens de l’Art. Mairus n’avait-il pas fabriqué un monochorde pour le tempérament en usage, et s’en est-on servit ? Il y aurait de la surprise à vouloir sa critique sur ce qui n’est que de surabondance ; et s’il y a de petits inconvéniens, peu importans d’ailleurs dans la pratique, n’y en a-t-il pas aussi dans le nombre de la formule en question ? On ne peut, à la vérité, avoir ces moyennes proportionnelles, dit l’extrait, que par approximation : j’ai donc fait plus, puisqu’en exprimant mes puissances avec des lignes, on aura les justes divisions en vigeur.

D’un autre côté, on me confond avec tous ceux qui n’ont, en effet, que proposé des Tempéramens au hazard, en disant simplement que je propose une Méthode, etc. Le Mémoire dit plus positivement, le Tempérament que M. R. propose, etc. Prenez garde, s’il vous plaît, et si vous craignez d’insulter à la mémoire des grands Géomêtres qui ont traité cette matière, vous ne pouvez aussi vous dispenser de rendre justice à la vérité : ne faites point de comparaison, à la bonne heure. Mais reconnaissez du moins qu’ils n’ont fondé leurs conséquences que sur des suppositions, sur des Hipothèses ; au lieu que je les fonde, sur un principe, dont le fait d’expérience a été reçu et avéré ; même avant que je ne l’eusse établi pour tel : je fais plus qu’aucun, je démontre d’abord la nécessité de ce Tempéramt par une infinité d’expériences incontestables, je les fonde ensuite sur des progressions que ce principe m’a données je prouve que ne pouvant pas être en proposition harmonique, il doit suivre, du moins la géométrique renfermée dans cette progression, et je pousse enfin la chose jusqu’à donner la Méthode en puissances : c’est là plus que proposer, ce me semble, et si cela ne s’appelle pas découvrir et démontrer, je ne connois donc pas la force de ces termes. Relisez le Mémoire de Monsieur votre Académicien et quelques chap. de ma Génération harmonique ; surtout le VIIe, vous verrez qu’il a puisé dans mes faibles idée ce dont il autorise ce qu’il m’oppose : je ne crois pas qu’on l’applaudisse beaucoup de s’être attaché à critiquer, dans mon Nouveau Système, ce que j’en ai réfuté, moi-même dans ma Gén. Harmonique. ; et s’il eut voulu du moins honorer par quelques endroits flatteurs celui qu’il ne ménage pas assez ailleurs, il aurait pu nommer l’Auteur qui l’a contraint à dire que, Les Anciens ont trop négligé la science de la Musique, etc., mais après que nous sommes dans un siècle où la lumière a enfin dissipé les ténèbres, etc., je cite partout le fond des choses, sans me souvenir précisément de l’ordre parce que je suis à la campagne où je n’ai pas le Mémoire sous les yeux.

Je crois, Monsieur, qu’il est de l’honneur de l’Académie, comme du mien, que de désabuser le Public sur les fausses idées dans lequel on le laisse depuis près de 2 ans ; ne doutez pas que je sois extrémement sensible : comme la matière est peu connue, on croit l’auteur et l’ouvrage décriés, quoique sans preuve, parce que tout qui part de vos mains passe pour des arrets ; de quelle conséquence cela n’est-il donc pas pour les personnes intérressées. Je me garderai bien de m’inscrire en faux contre le premier venu, sauf à ne le jamais prouver. Je ne sçais comment la chose s’est passée, mais il paroit qu’on y a eû un peu trop de condescendance au sentiment d’un seul ; et il vaut bien mieux que l’Académie s’en justifie en me justifiant, que de m’obliger à répondre : on n’a jamais tort quand on l’avouë, excepté que, comme quelques-uns, on ne se fonde sur l’ignorance du Lecteur.

Jamais je n’ai tant présumé de mes foibles découvertes que depuis qu’on les attaque, je n’y pensois plus, je les avois tout à fait oubliées, il faut donc que je les rappelle encor. Quel honneur qu’une aussi célèbre Académie que la vôtre voulut bien descendre jusqu’à en dire son sentiment ? Elle y est presque forcée pour son propre interrest, et si je me suis trompé, j’en tirerai du moins le fruit d’un éclaircissement, dont je tâcherai de proffiter.

J’ai été charmé de trouver votre nom au bas de la lettre adressée à M. de la Roque, cela m’a fait naître le dessein de vous addresser celle-ci, pour vous assurer en partie de ma reconnoissance sur le papier, et pour vous assurer de l’estime et de la considération avec laquelle je suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

A Paris ce 3 9bre. 1741.

RAMEAU