Lettre
de Rameau à Christin, secrétaire de l’Académie de Lyon,
en réponse à un Mémoire de cette Académie (rédigé
par Bollioud-Mermet), 1741.
C’est sans
réflexion, Monsieur, qu’on a publié que je n’ai rien déterminé
dans mon Tempérament de Musique, puisque je donne moi-même,
page 96 de ma Génération harmonique, Exe IX, les puissances
d’une formule, par laquelle on prétend prouver ce qu’on
avance et puisqu’on n’a fait, en cela, que d’exécuter à
la lettre ce que j’ai prescrit : ainsi je n’en laisse
pas simplement le soin aux curieux, comme on l’insère
dans l’extrait. Si je donne ensuite un moyen auriculaire,
ce n’est que pour me prester aux facultés des gens de l’Art.
Mairus n’avait-il pas fabriqué un monochorde pour le tempérament
en usage, et s’en est-on servit ? Il y aurait de la
surprise à vouloir sa critique sur ce qui n’est que de surabondance ;
et s’il y a de petits inconvéniens, peu importans d’ailleurs
dans la pratique, n’y en a-t-il pas aussi dans le nombre
de la formule en question ? On ne peut, à la vérité,
avoir ces moyennes proportionnelles, dit l’extrait,
que par approximation : j’ai donc fait plus,
puisqu’en exprimant mes puissances avec des lignes, on aura
les justes divisions en vigeur.
D’un autre
côté, on me confond avec tous ceux qui n’ont, en effet,
que proposé des Tempéramens au hazard, en disant simplement
que je propose une Méthode, etc. Le Mémoire dit
plus positivement, le Tempérament que M. R. propose,
etc. Prenez garde, s’il vous plaît, et si vous craignez
d’insulter à la mémoire des grands Géomêtres qui ont traité
cette matière, vous ne pouvez aussi vous dispenser de rendre
justice à la vérité : ne faites point de comparaison,
à la bonne heure. Mais reconnaissez du moins qu’ils n’ont
fondé leurs conséquences que sur des suppositions, sur des
Hipothèses ; au lieu que je les fonde, sur un principe,
dont le fait d’expérience a été reçu et avéré ; même
avant que je ne l’eusse établi pour tel : je fais plus
qu’aucun, je démontre d’abord la nécessité de ce Tempéramt
par une infinité d’expériences incontestables, je les fonde
ensuite sur des progressions que ce principe m’a données
je prouve que ne pouvant pas être en proposition harmonique,
il doit suivre, du moins la géométrique renfermée dans cette
progression, et je pousse enfin la chose jusqu’à donner
la Méthode en puissances : c’est là plus que proposer,
ce me semble, et si cela ne s’appelle pas découvrir et démontrer,
je ne connois donc pas la force de ces termes. Relisez le
Mémoire de Monsieur votre Académicien et quelques chap.
de ma Génération harmonique ; surtout le VIIe, vous
verrez qu’il a puisé dans mes faibles idée ce dont il autorise
ce qu’il m’oppose : je ne crois pas qu’on l’applaudisse
beaucoup de s’être attaché à critiquer, dans mon Nouveau
Système, ce que j’en ai réfuté, moi-même dans ma Gén. Harmonique. ;
et s’il eut voulu du moins honorer par quelques endroits
flatteurs celui qu’il ne ménage pas assez ailleurs, il aurait
pu nommer l’Auteur qui l’a contraint à dire que, Les
Anciens ont trop négligé la science de la Musique, etc.,
mais après que nous sommes dans un siècle où la lumière
a enfin dissipé les ténèbres, etc., je cite partout
le fond des choses, sans me souvenir précisément de l’ordre
parce que je suis à la campagne où je n’ai pas le Mémoire
sous les yeux.
Je crois, Monsieur,
qu’il est de l’honneur de l’Académie, comme du mien, que
de désabuser le Public sur les fausses idées dans lequel
on le laisse depuis près de 2 ans ; ne doutez pas que
je sois extrémement sensible : comme la matière est
peu connue, on croit l’auteur et l’ouvrage décriés, quoique
sans preuve, parce que tout qui part de vos mains passe
pour des arrets ; de quelle conséquence cela n’est-il
donc pas pour les personnes intérressées. Je me garderai
bien de m’inscrire en faux contre le premier venu, sauf
à ne le jamais prouver. Je ne sçais comment la chose s’est
passée, mais il paroit qu’on y a eû un peu trop de condescendance
au sentiment d’un seul ; et il vaut bien mieux que
l’Académie s’en justifie en me justifiant, que de m’obliger
à répondre : on n’a jamais tort quand on l’avouë, excepté
que, comme quelques-uns, on ne se fonde sur l’ignorance
du Lecteur.
Jamais je n’ai
tant présumé de mes foibles découvertes que depuis qu’on
les attaque, je n’y pensois plus, je les avois tout à fait
oubliées, il faut donc que je les rappelle encor. Quel honneur
qu’une aussi célèbre Académie que la vôtre voulut bien descendre
jusqu’à en dire son sentiment ? Elle y est presque
forcée pour son propre interrest, et si je me suis trompé,
j’en tirerai du moins le fruit d’un éclaircissement, dont
je tâcherai de proffiter.
J’ai été charmé
de trouver votre nom au bas de la lettre adressée à M. de
la Roque, cela m’a fait naître le dessein de vous addresser
celle-ci, pour vous assurer en partie de ma reconnoissance
sur le papier, et pour vous assurer de l’estime et de la
considération avec laquelle je suis, Monsieur, votre très
humble et très obéissant serviteur.
A Paris ce
3 9bre. 1741.
RAMEAU