Les Paladins
Livret de Duplat de Monticourt

Comédie-Ballet en trois actes
Créée le 12  février 1760 à L'Académie Royale de Musique de Paris




"to hide art by very art"
"cacher l'art par l'art même"

 



 



 

 



 


 

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ACTEURS CHANTANTS

MANTO, Fée  (Mr Pillot).
ANSELME, Sénateur, & Tuteur d'ARGIE (Mr Gélin).
ARGIE, jeune Italienne,  (Melle Arnoud).
ATIS, Paladin,  (Mr Lombard).
ORCAN, Serviteur d'ANSELME, & Gardien d'ARGIE  (Mr Larrivée).
NERINE, Suivante d'ARGIE (Melle Lemière).
UN PALADIN (Mr Muguet).
PALADINS, & leur suite, sous plusieurs déguisements.
TROUBADOURS & MENESTRELS, de la suite d'ATIS.
SERVITEURS d'ANSELME.
SUIVANTS de MANTO, sous la forme de CHINOIS & de PAGODES.

La scène est dans le château d'Anselme et aux environs.

 

Les Paladins

ACTE PREMIER

Le Théâtre représente la principale entrée d'un vieux Château, près d'un Bois. On voit des Tours & des Grilles qui défendent ce château.

Scène Première

ARGIE, NERINE.

ARGIE.
Triste séjour, Solitude ennuyeuse,
Que votre aspect m'est odieux !
Le retour d'un Jaloux, qu'on attend dans ces lieux,
Doit vous rendre encor plus affreuse !

Triste séjour, Solitude ennuyeuse,
Que votre aspect m'est odieux !

NERINE.
L'hymen qu'on vous prépare embellira ces lieux.

ARGIE.
Ah, qu'oses-tu me faire entendre !

NERINE.
Qu'il faut attendre
L'époux qui vous est destiné :
Et goûter l'espoir de lui rendre
Le tourment qu'il vous a donné.

ARGIE.
Quel espoir veux-tu qu'il me reste ?
Atis peut-être ne vit plus :
Et, s'il respire encore, un obstacle funeste
Rend mes voeux superflus.

NERINE.
L'amant, peu sensible & volage,
Craint l'obstacle le plus léger ;
L'amant, que plus d'amour engage,
S'il voit augmenter le danger,
Augmente de courage.

(Une Symphonie annonce l'arrivée d'Orcan.)

 

Scène II

ARGIE, NERINE, ORCAN.

ORCAN, avant de paraître.
Argie !... hola !.. Nérine ! où portez-vous vos pas ?

NERINE.
J'entends le bruit des clefs, & la voix du Cerbère
Qui ne nous quitte pas.

ORCAN.
Rentrez !

ARGIE ET NERINE.
Quelle rigueur austère !

NERINE.
Aimable Orcan, laisse-nous respirer.

ORCAN.
Rentrez !

ARGIE ET NERINE.
Un moment.

ORCAN.
Non, non ; c'est trop différer.

ARGIE ET NERINE.
Ah, quelle contrainte sévère !

NERINE, à Argie, à part.
Cédez à sa rigueur.
Je vais pour l'adoucir, écouter son ardeur.

(Argie se retire.)

 

Scène III.

NERINE, ORCAN.

NERINE.
Seras-tu toujours inflexible,
Cruel tyran de nos plaisirs ?

ORCAN.
Je te l'ai dit cent fois, le secret infaillible
De me rendre sensible,
C'est de répondre à mes désirs.

NERINE.
Eh ! comment veux-tu que l'on aime
Dans ce triste séjour ?

Considère toi-même
L'aspect de ces barreaux, l'ombre de cette tour,
Le cri de ces oiseaux, qui volent à l'entour.
Tes yeux d'Argus, ta voix de Polyphème,
Peuvent-ils inspirer l'amour ?

Eh ! comment veux-tu que l'on aime ?

ORCAN.
Ce lieu, si tu m'aimais, te paraîtrait charmant.
Tu trouverais ma voix plus tendre & plus sonore.
Tout s'embellit, tout s'éclaire en aimant.
L'amour fait d'un cachot le palais de l'Aurore ;
Ce lieu, si tu m'aimais, te paraîtrait charmant.
Mais ton coeur répond froidement au feu qui me dévore.

NERINE.
Prends pitié de notre tourment !
Ecoute, Orcan, je finirai tes peines ;
Brise nos fers, sortons de ce tombeau.
Ta voix surpassera le charme des Sirènes,
L'Amour, auprès de toi, nous paraîtra moins beau.

ORCAN.
Tais-toi perfide enchanteresse !
Crois-tu donc surprendre ma foi ?

NERINE.
Par ta pitié prouve-moi ta tendresse.

ORCAN.
La pitié n'est qu'une faiblesse.

NERINE.
C'est l'Amour qui t'en presse ;
Mon cher Orcan, écoute-moi.

ENSEMBLE.
NERINE....Orcan, écoute-moi.
ORCAN....Non, non, retire-toi.
NERINE....Ecoute-moi.
ORCAN...Retire-toi.

(On entend une Symphonie éloignée, & les Sons d'une Musette.)

ORCAN.
Quels concerts insolents osent se faire entendre ?
Ah ! c'est quelque amant suborneur.
Courons, gardons de nous laisser surprendre.

NERINE.
Quelle nouveauté ! quel bonheur !

(Orcan fort, Argie rentre en même temps par le côté opposé.)

 

Scène IV.

ARGIE, NERINE.

ARGIE.
Qu'ai-je entendu ?

NERINE.
Restez : je vais vous instruire.

(Nérine entre dans les coulisses.)

ARGIE.
Quel espoir pourrait me séduire !
Trop funestes accords ! peut-être annoncez-vous
Mon hymen & mon esclavage ?

(La Symphonie se fait entendre de plus près, & devient plus touchante.)

Mais les sons que j'entends n'ont rien d'assez sauvage,
Pour être le présage
Du retour affreux d'un jaloux.

NERINE, rentrant sur la scène avec précipitation.
Accourez, venez voir ; c'est un enchantement.

ARGIE.
Qu'as-tu donc vu ?

NERINE.
J'ai vu paraître
Des Pèlerins le plus charmant.
Sa voix ravit d'étonnement :
Il a mille secrets qu'il vous fera connaître.
Cet homme est un trésor ; & je ne sais comment
A chaque mot qu'il dit, aussitôt il fait naître
Or, bijoux, perle, diamant...
Accourez, venez voir ; c'est un enchantement.

ARGIE.
Eh si c'était Anselme ! il est peut-être
Sous ce trompeur déguisement.

NERINE.
Ah, Dieux ! peut-on s'y méprendre ?
Est-il beau comme le jour ?
Sait-il des chansons d'amour ?
A-t-il de l'or à répandre ?

Orcan veille de ce côté ;
L'Etranger peut ici se rendre.
Un instant de félicité
Est toujours bon à prendre.

ARGIE.
D'un inconnu quel plaisir puis-je attendre ?
Que sont ces trésors, ces charmes que tu dis ?
Encore si c'était mon Atis.

(La Musette recommence ses chants, que répète l'écho.)

NERINE.
Ecoutez, écoutez les sons de sa Musette :
L'écho les répète.
Ecoutez.

ARGIE.
Mon âme est trop inquiète.

NERINE.
Vos yeux en seront enchantés,
Sortez.

ARGIE.
Non, laisse-moi, toute entière à moi-même,
Rêver à ce que j'aime.

NERINE, allant au-devant des PELERINS.
Je veux rendre le calme à ses sens agités.

(Argie s'assied dans un coin du Théâtre, & paraît rêver profondément, sans faire attention à ce qui se passe. Nérine amène les Pèlerins qui entrent en dansant.)

 

Scène V.

ARGIE, NERINE, ATIS, en Pèlerin, jouant de la Musette, PELERINS de la Suite d'ATIS.

ATIS.
Venez tous en pèlerinage,
Accourez, Amants, venez tous.
Ah, que votre sort sera doux !
Accourez, Amants, venez tous.
Le bonheur est notre partage :

Nous changeons de climats,
Sans trouver un climat sauvage ;
L'Amour est toujours du voyage ;
Et les fleurs naissent sous nos pas.

Venez tous, &c.

(On danse.)

ATIS, à ARGIE.
L'espoir nous mène au bout du monde.
Il nous éveille chaque jour :
Si nous courons la Terre & l'Onde,
C'est pour trouver un coeur digne de notre amour.

ARGIE, sortant de sa rêverie.
Ah ! j'en possédais un si fidèle & si tendre !
Je l'ai perdu.

ATIS & LE CHOEUR DES PELERINS.
Venez le chercher avec nous.

ARGIE.
Pour retrouver Atis que ne puis-je entreprendre
Un voyage si doux !

ATIS, se jetant aux pieds d'ARGIE.
Argie ! il est à vos genoux.

ARGIE.
Que vois-je ? & que viens-je d'entendre !
Ah, mon cher Atis ! est-ce vous ?

ATIS.
C'est lui qui vient vous défendre
De vos tyrans jaloux.

ARGIE.
Ah, mon cher Atis ! est-ce vous ?

ATIS.
Sous ce déguisement il fallait vous surprendre.
Quand sous l'amoureuse loi
On sait braver les obstacles,
L'Amour fait des miracles :
Vous les méritez tous, il les fait tous pour moi.

C'est une fée enchanteresse,
Qui seconde ici nos amours :
Pour prix d'un utile secours,
Manto servira ma tendresse.

ARGIE.
Mon cher Atis, que ferons-nous ?
Anselme arrive ici, pour être mon époux.

ATIS.
Vous m'aimez ?

ARGIE.
Je vous aime.

ATIS.
Défions les jaloux.

ENSEMBLE.
Défions les jaloux.
Que leur rage, que leur courroux
Augmentent nos plaisirs même,
Et les rendent plus doux !

(Les Pèlerins continuent leurs danses.)

 

Scène VI.

ARGIE, ATIS & ET LES PELERINS,
NERINE, rentrant sur la Scène avec effroi ;
ORCAN, qui paraît ensuite armé ridiculement.

NERINE.
Fuyez le sort qui vous menace ;
Orcan, prêt à combattre, avance dans ces lieux :
Il est armé d'une cuirasse.
Tremblez, tremblez !

ATIS.
D'un vil audacieux
Laissez-moi confondre l'audace.

ORCAN, à ATIS au fond du Théâtre.
Fuis, redoute un affreux trépas...

Mais il ne craint point ma présence !
Je meurs de peur s'il ne fuit pas,
Je suis perdu s'il avance.

ATIS.
Orcan, j'aime à voir ce grand coeur ;
Et veux éprouver ton courage.

(Il se met en défense.)

ORCAN, tremblant.
Sauve-toi ; ma bonté t'ouvre encore un passage.

ATIS.
J'aime mieux sentir ta valeur.
Défends-toi.

(Il lui porte un coup.)

ORCAN, tombant de frayeur.
Je suis mort ! o fatale disgrâce !

ATIS, à sa suite.
Dans les fers qu'il soit arrêté.

ORCAN.
Belle Argie, obtenez ma grâce,
Pour prix du soin que vous m'avez coûté.
Nérine, ah, quel malheur ! Au nom de ta tendresse,
Implore sa bonté.

NERINE.
La pitié n'est qu'une faiblesse...

ORCAN.
Nérine, implore sa bonté.

ATIS, à sa suite.
Vous, dont le zèle me seconde,
Venez, qu'il soit reçu soudain,
Qu'il soir armé Pèlerin,
Pour l'envoyer au bout du Monde.

CHOEUR DES PELERINS.
Qu'il soit armé, &c.

(On fait, en dansant, les cérémonies de la réception d'Orcan, qui donnent lieu à ses frayeurs.)

LE CHOEUR.
Hommage, rendons tous hommage
A ce joli Pèlerin.

ARGIE, en le parant de Coquilles.
Daignez recevoir de ma main
L'ornement de ce Coquillage.

LE CHOEUR.
Hommage, &c.

ATIS, lui donnant le Chapeau.
Pour vous garantir du serein
Voici le Chapeau du voyage.

LE CHOEUR.

Hommage, &c.

NERINE, lui donnant le Bourdon.
Prenez, pour vous mettre en chemin,
Le Sceptre du pèlerinage.

LE CHOEUR.
Hommage, &c.

(Les Pèlerins recommencent leurs danses, qui sont interrompues par le bruit d'Anselme.)

CHOEUR, qu'on entend de loin.
Ho, hé, ah, ah !

NERINE.
Qu'ai-je entendu ?
Tout est perdu !

ORCAN.
Anselme arrive !

ARGIE.
Anselme va paraître !

ORCAN.
Pauvre Orcan, que deviendras-tu ?
Que dira, que fera ton Maître ?

LE CHOEUR.
Fuyez, Atis ; sauvons-nous.

ATIS.
Non, je veux braver son courroux :
Suivez-moi tous.

NERINE, pendant que les autres Acteurs répètent les paroles précédentes.
C'est un éclair
Qui fend l'air,
C'est le tonnerre qui gronde :
Le bruit
Qu'il produit
Saisit,
Remplit
D'effroi tout le monde,
Qui fuit.

(Tout s'enfuit & se disperse dans les Bois.)

FIN DU PREMIER ACTE.

 

 

ACTE SECOND.

Le Théâtre représente un Hameau, près du Château d'ANSELME, qu'on voit dans le fond

Scène Première

ANSELME, & SES SERVITEURS,
à qui il fait signe de s'éloigner.

ANSELME, seul.
Mon coeur, tu n'as que peu d'instants
A désirer l'objet que ces lieux vont te rendre.
Je vais consoler un coeur tendre,
Que j'ai fait languir trop longtemps.

Mon coeur, tu n'as peu d'instants
A désirer l'objet que ces lieux vont te rendre.
Mais quel bruit ! qu'est-ce que j'entends ?

(Orcan paraît en habit de Pèlerin, & court comme un homme égaré.)

 

Scène II.

ANSELME, ORCAN.

ANSELME.
Que vois-je ? est-ce lui qui s'avance ?
Malheureux ! veux-tu t'arrêter ?

ORCAN.
Ah, Seigneur ! sauvez-vous ; fuyez en diligence.

ANSELME.
Que veux-tu dire ?

ORCAN.
Ils vont faire porter
Le Bourdon à votre Excellence.

ANSELME.
Quelle ivresse, ou quelles vapeurs
Ont fait naître cette démence ?

ORCAN.
Des Pèlerins !... des Enchantements !...

ANSELME.
Que fait Argie ?

ORCAN.
Argie... est en pèlerinage.

ANSELME.
Es-tu fou ?

ORCAN.
Si vous êtes sage
Craignez d'irriter leurs fureurs.

(Argie paraît au fond du Théâtre habillée en Pèlerine, & chantant l'air des Pèlerins.)

Argie en saura davantage.

(Argie apercevant Anselme, cesse tout à coup de chanter ; Orcan sort.)

 

Scène III.

ANSELME, ARGIE, en Pèlerine.

ANSELME.
Sous quel déguisement, ô Dieux !
Vous me rendez votre présence !
Argie, est-ce ainsi qu'à mes yeux
Doit paraître votre innocence ?

ARGIE.
Seigneur...

ANSELME.
Expliquez-moi ce mystère odieux.

ARGIE.
Que je crains ce moment terrible !

ANSELME.
Non : osez tout me déclarer.
Qu'alliez-vous faire ?

ARGIE.
Hélas ! j'allais vous délivrer
D'un objet toujours insensible,
Qui pour vous ne peut soupirer.

ANSELME.
Vous méditiez, perfide ! une action aussi noire ?
O Ciel ! le puis-je croire ?
Quand je viens pour vous adorer;
Quand j'apporte à vos pieds tant de marques de gloire
Dont Rome & le Sénat viennent de m'honorer,
Vous méditiez, perfide ! une action si noire ?
O Ciel ! le puis-je croire ?
Nommez l'auteur de ce dessein.

ARGIE.
Atis, un jeune Paladin.

ANSELME.
Un homme !...

ARGIE.
Epris de moi, tout autant que je l'aime.
Atis est si charmant ! son langage est si doux !...
Si vous voyiez Atis, vous feriez vous-même
Un crime d'en être jaloux.

ANSELME, à part.
Le monstre !

ARGIE.
Il vous déplait, & moi je vous offense :
Souffrez donc qu'avec lui j'emporte loin de vous
L'ennui de ma présence.

ANSELME, à part.
Il faut cacher mon courroux.

(à Argie.)

J'ai donc perdu tout espoir de vous plaire ?

ARGIE.
Celui de vous aimer n'est pas né dans mon coeur.
Donnez-moi mon amant, & goûtez la douceur
D'être aimé comme un père.

ANSELME.
Oui, j'y consens ; j'immole ma colère :
Il faut céder à mon vainqueur...

(Il l'arrête.)

Allez... Vous ignorez, peut-être,
Qu'un trésor à ma garde autrefois fut commis :
Ce trésor est à vous... je n'en suis plus le maître,
Et par Orcan... bientôt il vous sera remis.
Adieu.

(Argie sort ; Anselme tire un Poignard de dessous sa robe.)

C'est ce Poignard, perfide !
Dont je veux te percer le sein :
Mais, pour ne pas souiller ma main,
Un autre en sera le guide.

(Orcan traverse le Théâtre ; Nérine le suit, sans être aperçue.)

 

Scène IV.

ANSELME, ORCAN.

ANSELME, le Poignard à la main.
Approche, Orcan.

ORCAN.
O Ciel ! que voulez-vous ?

ANSELME.
Ta mort ou ton obéissance.

ORCAN.
J'obéirai.

ANSELME.
Tu vas porter mes coups
A la parjure qui m'offense.

ORCAN.
Je frémis !

ANSELME.
Point de résistance ;
Redoute ou sers mon courroux.

(Il remet à Orcan un Poignard & du Poison, & il se retire : Nérine court avertir Atis de ce qui se passe.)

 

Scène V.

ORCAN, seul.
Je puis donc me venger moi-même
D'Argie & de son Paladin !...
Mais d'où vient que ce fer qu'on a mis dans ma main
Glace mon coeur d'une frayeur extrême ?

(Nérine paraît au fond du Théâtre, & écoute Orcan.)

Orcan, tu vas commettre un forfait odieux !
Son ombre chaque nuit, paraissant à tes yeux,
Demandera vengeance !
Ah ! je meurs de peur quand j'y pense !
Je tremble à me voir seul dans ces funestes lieux,
Et je frémis de leur silence.

 

Scène VI.

NERINE, revenant & feignant de ne pas voir Orcan,
ORCAN, qui se tient à l'écart pour écouter Nérine.

NERINE, haut.
C'est trop soupirer :
Je veux déclarer
L'ardeur qui m'enflamme.
Ah ! je sens mon âme
Prête à s'égarer.
Ne reviendras-tu point, cher Orcan, que j'adore ?

(Orcan approche doucement.)

(Bas.)

Je le vois qui fuit mes pas ;
L'imprudent ne fait pas,
Ne voit pas,
N'entend pas,
L'appas :
Feignons encore.

(Haut.)

C'est trop soupirer, &c.

ORCAN, interrompant Nérine.
Le voilà cet amant qui cause ton martyre.

ENSEMBLE.
Ah, quel trouble je ressens !
Dis-moi ?... Je ne puis dire
Quelle ardeur, quel délire,
Quel transport agite mes sens !
Non, non, je ne puis dire, &c.

ORCAN.
Il faut se rendre, il est temps.

NERINE, regardant dans le Bois.
Attends.

ORCAN.
Beauté sauvage,
C'est trop longtemps
Me faire outrage.

NERINE.
Attends ;
C'est trop me faire violence.
Esprits vengeurs, venez, volez à ma défense.

(Un bruit effrayant se fait entendre ; une Troupe de Démons & de Furies sort du Bois précipitamment, & environne Orcan.)

 

Scène VII.

ORCAN, NERINE, ATIS  & les autres PALADINS, déguisés en Furies & en Démons.

ORCAN.
Quel bruit ! quels monstres ! justes Dieux !
Tout l'Enfer contre moi s'élance !

ATIS, déguisé en furie, aux Démons.
Vengez, vengez l'innocence :
Désarmez ce furieux.

(Les Démons se saisissent du Poignard & du Poison qu'Orcan avait sur lui.)

Démons, frappez votre victime :
Voilà les témoins du crime.

CHOEUR.
Frappons, frappons notre victime, &c.

ATIS & LE CHOEUR.
Par ce fer tu périras :
De ce poison tu boiras :
Tu mourras.

ORCAN.
Ah, ne m'achevez pas !
De quoi suis-je donc coupable ?

ATIS ET LE CHOEUR.
Misérable !
Par ce fer tu périras :
De ce poison tu boiras :
Tu mourras.

(On danse.)

UN PALADIN, déguisé en Furie.
Je suis la furie
Qui crie
Au fond du coeur des Jaloux :
Je punis les cruels époux,
Et j'imite la barbarie
Des ministres de leurs courroux.

(On danse.)

 

Scène VIII.

Les Acteurs de la Scène précédente,
ARGIE, NERINE.

ATIS à Orcan, en lui montrant Argie.
Monstre ! vois la beauté que menaçaient tes armes :
La terre allait par toi perdre tous ces trésors.
Contemple, admire tant de charmes,
Pour emporter plus de remords.

ORCAN.
Madame Argie, hélas ! soyez pitoyable :
Hélas ! hélas !
Sauvez-moi du trépas.

ARGIE.
Laissons vivre ce misérable.

ATIS.
Elle ordonne, amis, c'est assez.

(On lâche Orcan, qui s'enfuit.)

Démons, Esprits reparaissez
Sous une forme plus aimable.

(Les Paladins sortent, & vont quitter leurs déguisements.)

ATIS, à Argie.
Espérons un destin plus doux ;
Manto nous vengera du tyran qui nous reste,
Par le tourment le plus funeste
Que peut sentir l'amour jaloux.

 

Scène IX.

ATIS, ARGIE, NERINE?
Les DAMES compagnes des Paladins, les PALADINS,
TROUBADOURS, MENESTRELS de la Suite d'ATIS.

ATIS, aux Paladins.
Vengeurs des beautés qu'on outrage,
Je vous dois ma félicité :
Chantez la liberté
De l'aimable objet qui m'engage.
Formez les noeuds les plus charmants ;
Attaquez les jaloux, rompez, brisez leurs chaînes.
Le prix de tant de peines
Est le triomphe des amants.

CHOEUR des PALADINS & de leurs DAMES, avec ATIS qui s'en mêle.
Formez/Formons les noeuds les plus charmants,
Attaquez/Attaquons les Jaloux rompez/rompons leurs chaînes.
Le prix de tant de peines
Est le triomphe des amants.

(Danse des PALADINS, qui se réjouissent de la délivrance d'Argie.)

ARGIE.
Je vole, Amour, où tu m'appelles :
Prête-moi, prête-moi tes ailes.
Quelles sont tes faveurs
Pour les amants fidèles :
Tu brises leurs chaînes cruelles,
Et tu les enchaîne de fleurs.
Je vole, &c.

(Entrée des Troubadours et des Ménestrels.)

NERINE.
Pour voltiger dans le bocage
L'oiseau fuit la captivité ;
Quel silence s'il est en cage !
Quel doux ramage
S'il est en liberté !

Pour serpenter dans la verdure,
Le cour de l'onde est agité :
Il se tait s'il est arrêté.
Quel doux murmure
S'il est en liberté !

NERINE ET ATIS.
NERINE... Pour serpenter, &c.
ATIS....  Pour voltiger, &c.

(La Danse recommence & est interrompue par un bruit tumultueux.)

ATIS.
Quel nouveau bruit se fait entendre.

UN PALADIN.
Anselme avance contre nous ;
Avec sa suite armée il vient pour nous surprendre.

ATIS.
Dérobons ma conquête à l'ennemi jaloux.
Dans ces murs je puis me défendre
Et braver son courroux.

(Atis, & toute sa suite, entre dans le Château, dont on ferme les portes.)

FIN DU SECOND ACTE.

 

ACTE TROISIEME.

Le Théâtre représente les mêmes lieux qu'au second acte.

Scène Première

ANSELME, une Epée à la main, ORCAN,
TROUPE de PAYSANS & de VALETS armés pour attaquer le Château.
 

ANSELME.
Tu vas tomber sous ma puissance,
Lâche et perfide ravisseur !
Ah ! je vais goûter la douceur
De percer à tes yeux l'ingrate qui m'offense.

(A sa suite.)

Venez, secondez mon courroux :
Mon honneur outragé vous demande vengeance.
Vengeance ! o Vengeance !
Vous êtes l'unique espérance
Des amants trompés & jaloux

Tu vas tomber, &c.

(On dispose l'assaut.)

ANSELME, à la tête de sa Troupe.
Attaquons ; suivez-moi ; courons à la vengeance.

CHOEUR.
Attaquons ; suivez-moi : courons à la vengeance.

(Comme on place les Echelles pour escalader le Château, tout disparaît. Orcan & les autres Serviteurs d'Anselme l'abandonnent. Un Palais dans le goût Chinois, ouvert de tous côtés, & situé au milieu d'un jardin, succède à la Décoration précédente ; le dedans du Palais est orné de plusieurs groupes de Figures de la Chine.)

ANSELME, qui a jeté ses armes pendant le changement.
Mais ô Ciel ! ce Château disparaît à mes yeux !
Quels jardins délicieux
Ont tout à coup pris naissance !
Quel superbe Palais s'élève jusqu'aux Cieux.

(Il considère ce Palais, & voit une Esclave qui traverse le Théâtre.)

Dieux ! quel étrange objet à mes yeux se présente ?

 

Scène II.

ANSELME, MANTO, sous la forme d'une Esclave Maure.

ANSELME, arrêtant Manto.
Esclave, contentez mes désirs curieux.
De quel Dieu vois-je ici la demeure éclatante ?
A qui sont ces trésors ?

MANTO.
Ces trésors sont à moi.

ANSELME, se jetant à ses pieds.
Déesse ! pardonnez si je n'ai pu connaître...

MANTO.
Je te pardonne ; & des biens que tu vois
A l'instant, si tu veux, je puis te rendre maître.

ANSELME.
Grande Divinité !

MANTO.
Je ne veux que ta foi
Pour prix d'un si rare avantage.

ANSELME.
Voyez  & mon front & mon âge.

MANTO.
Tu me plais ; je veux ton hommage.

Le printemps
Des amants
Rend leur flamme trop volage ;
Le fardeau de l'âge
Rend les amours plus constants.
Le printemps
Des amants
Rend leur flamme trop volage.

ANSELME.
Mais votre coeur enfin peut-il être flatté...

MANTO.
De ta gravité,
De ta majesté
Mon coeur est enchanté,
Veut que le tien m'engage
Sa liberté.
Considère aussi la beauté
Qui sera ton partage.

ANSELME.
Mais si je suis d'une autre loi...

MANTO.
Je veux l'honneur du sacrifice.
Garde-toi d'hésiter ; ou d'un mot, devant toi
Je renverse cet édifice.

ANSELME.
Ah, quel dommage qu'il périsse !

MANTO.
J'entends l'aveu de ton amour.

(S'adressant aux Pagodes qui ornent son Palais.)

Etrangères beautés, qui parez ce séjour,
Animez vous ; rendez à ce que j'aime
Les honneurs que mon choix lui destine à ma Cour.
Ecoutez mon ordre suprême.

(Les Pagodes, qui commencent à remuer la tête, s'animent insensiblement, & quittent leurs places, pour venir rendre hommage à Anselme, en dansant autour de lui dans leurs attitudes comiques.)

MANTO.
Pour répondre encore à mes voeux
Permettez que l'amitié soit témoin de mes feux.
Paraissez, belle Argie.

ANSELME, apercevant Argie.
Où me cacher ? c'est elle !

(Argie s'avance ; Manto se retire au fond du Théâtre.)

 

Scène III.

ARGIE, ANSELME, MANTO.

ARGIE.
Anselme soupirant aux pieds de cette belle !

ANSELME.
Je suis perdu !

ARGIE.
Quoi ? dans le même jour
Etre si cruel  & si tendre !
Il faut savoir vaincre l'amour
Pour avoir droit de le défendre.

Atis, le bel Atis est fait pour m'enflammer ;
Mais vous devez rougir du feu qui vous dévore :
Le crime n'est pas d'aimer ;
C'est le choix qui déshonore.

ANSELME.
Ah ! connais mieux mon coeur et mes projets :
Ingrate ! à cet amour quand j'ai rendu les armes,
C'était pour t'enrichir des dons que l'on m'a faits :
Et je n'enviais ce Palais.
Que pour l'embellir de tes charmes.

ARGIE.
Si je veux des palais, Atis m'en donnera.
Sans mon Atis en peut-il être ?
Si je veux des trésors, c'est lui qui les fait naître ;
Et je les aurai tous, tant qu'Atis m'aimera.

ANSELME.
Vengeons cet outrage !

ARGIE.
Quels feux
Honteux
Pour un Sage !

MANTO, à Anselme.
Mon amour comblera tes voeux ;
Que nous serons heureux !

ANSELME, à Manto.
Non, je romps tous ces noeuds.

(à Argie.)

Perfide ! c'est là ton ouvrage.

ARGIE.
Je triomphe ! plus d'esclavage.

ANSELME à Argie, MANTO à Anselme.
Tu me suivras,
Tu m'aimeras,
M'adoreras ;
Oui, perfide ! tu me suivras.

ARGIE.
Je triomphe ! plus d'esclavage.

ANSELME.
Je meurs de honte & de rage.

 

Scène IV.

ANSELME, ARGIE, MANTO, ATIS, NERINE.

MANTO, à Anselme.
Reconnaissez Manto sous ce déguisement.

(à Atis.)

Approchez Atis. Je dois rendre
La Beauté la plus tendre
Au plus fidèle amant.

(Elle les unit.)

ATIS ET ARGIE.
O Divinité secourable !

MANTO.
Je veux que ces jeux enchanteurs
Forment ici pour vous la cour la plus aimable.
Goûtez d'autres plaisirs. Je laisse dans vos coeurs
Un enchantement plus durable.

(Elle se retire.)

NERINE, à Anselme.
Manto vous rend la liberté.

(On entend  le prélude de la fête.)

Je vois la foule qui s'avance.
Des caprices de leur gaieté
Sauvez, sauvez votre Excellence.

(Anselme sort désespéré. Les Paladins & autres Suivants d'Atis, sous divers déguisements, entrent en foule sur la Scène.)

 

Scène Dernière.

ATIS, ARGIE, NERINE, PALADINS, & autres SUIVANTS d'ATIS, sous divers déguisements. SUIVANTS de MANTO, sous différentes formes grotesques.

ARGIE.
Ah, que j'aimerai mon vainqueur !

ATIS.
Tu fera mon bonheur.

ARGIE.
Je ferai ton bonheur.
Par une ardeur
Toujours nouvelle.

ATIS.
Toujours nouvelle ?
Oui, je le sens par mon coeur,
Tu me seras toujours fidèle.

ARGIE.
Toujours fidèle.

ENSEMBLE.
L'Amour pourrait-il nous quitter,
Quand nous formons pour l'arrêter,
Une chaîne si belle ?

ARGIE.
Pour moi l'Amour s'enflammerait,

ATIS.
Pour moi Psyché soupirerait,

ENSEMBLE.
Je te serais toujours fidèle.

(On danse.)

CHOEUR.
L'Amour chante, l'Hymen soupire.
Belles chantez/Chantons chantons  avec l'Amour.
Faites/Faisons retentir ce séjour
Des accords riants qu'il inspire.

NERINE, puis le CHOEUR qui se joint à elle.
Livrez-nous
Vos époux ;
Nous savons les instruire.
Pour réduire
Un jaloux,
C'est de le tromper & d'en rire.

LE CHOEUR.
L'Amour chante, &c.

(Les Suivants de Manto, sous différentes figures Chinoises, entrent en dansant, & forment un Ballet-Pantomime, à la fin duquel toutes les autres Troupes se joignent à eux.)

ATIS.
Lance, Amour, tes traits vainqueurs :
Jouis de ta victoire.
Nous voulons augmenter ta gloire
Par la constance de nos coeurs.

Lance, Amour, tes traits vainqueurs :
Jouis de ta victoire.

LE CHOEUR.
Loin de nos jeux,
Epoux fâcheux ;
Fuyez, fuyez, Soucis ombrageux.
Liberté règne sur nous,
Chantons, rions, en dépit des jaloux.

(Un Ballet général termine le Divertissement.)

FIN.