Les
Paladins
ACTE
PREMIER
Le
Théâtre représente la principale entrée d'un vieux Château, près
d'un Bois. On voit des Tours & des Grilles qui défendent ce
château.
Scène
Première
ARGIE,
NERINE.
ARGIE.
Triste séjour, Solitude ennuyeuse,
Que votre aspect m'est odieux !
Le retour d'un Jaloux, qu'on attend dans ces lieux,
Doit vous rendre encor plus affreuse !
Triste
séjour, Solitude ennuyeuse,
Que votre aspect m'est odieux !
NERINE.
L'hymen qu'on vous prépare embellira ces lieux.
ARGIE.
Ah, qu'oses-tu me faire entendre !
NERINE.
Qu'il faut attendre
L'époux qui vous est destiné :
Et goûter l'espoir de lui rendre
Le tourment qu'il vous a donné.
ARGIE.
Quel espoir veux-tu qu'il me reste ?
Atis peut-être ne vit plus :
Et, s'il respire encore, un obstacle funeste
Rend mes voeux superflus.
NERINE.
L'amant, peu sensible & volage,
Craint l'obstacle le plus léger ;
L'amant, que plus d'amour engage,
S'il voit augmenter le danger,
Augmente de courage.
(Une
Symphonie annonce l'arrivée d'Orcan.)
Scène
II
ARGIE,
NERINE, ORCAN.
ORCAN,
avant de paraître.
Argie !... hola !.. Nérine ! où portez-vous vos
pas ?
NERINE.
J'entends le bruit des clefs, & la voix du Cerbère
Qui ne nous quitte pas.
ORCAN.
Rentrez !
ARGIE
ET NERINE.
Quelle rigueur austère !
NERINE.
Aimable Orcan, laisse-nous respirer.
ORCAN.
Rentrez !
ARGIE
ET NERINE.
Un moment.
ORCAN.
Non, non ; c'est trop différer.
ARGIE
ET NERINE.
Ah, quelle contrainte sévère !
NERINE,
à Argie, à part.
Cédez à sa rigueur.
Je vais pour l'adoucir, écouter son ardeur.
(Argie
se retire.)
Scène
III.
NERINE,
ORCAN.
NERINE.
Seras-tu toujours inflexible,
Cruel tyran de nos plaisirs ?
ORCAN.
Je te l'ai dit cent fois, le secret infaillible
De me rendre sensible,
C'est de répondre à mes désirs.
NERINE.
Eh ! comment veux-tu que l'on aime
Dans ce triste séjour ?
Considère
toi-même
L'aspect de ces barreaux, l'ombre de cette tour,
Le cri de ces oiseaux, qui volent à l'entour.
Tes yeux d'Argus, ta voix de Polyphème,
Peuvent-ils inspirer l'amour ?
Eh !
comment veux-tu que l'on aime ?
ORCAN.
Ce lieu, si tu m'aimais, te paraîtrait charmant.
Tu trouverais ma voix plus tendre & plus sonore.
Tout s'embellit, tout s'éclaire en aimant.
L'amour fait d'un cachot le palais de l'Aurore ;
Ce lieu, si tu m'aimais, te paraîtrait charmant.
Mais ton coeur répond froidement au feu qui me dévore.
NERINE.
Prends pitié de notre tourment !
Ecoute, Orcan, je finirai tes peines ;
Brise nos fers, sortons de ce tombeau.
Ta voix surpassera le charme des Sirènes,
L'Amour, auprès de toi, nous paraîtra moins beau.
ORCAN.
Tais-toi perfide enchanteresse !
Crois-tu donc surprendre ma foi ?
NERINE.
Par ta pitié prouve-moi ta tendresse.
ORCAN.
La pitié n'est qu'une faiblesse.
NERINE.
C'est l'Amour qui t'en presse ;
Mon cher Orcan, écoute-moi.
ENSEMBLE.
NERINE....Orcan, écoute-moi.
ORCAN....Non, non, retire-toi.
NERINE....Ecoute-moi.
ORCAN...Retire-toi.
(On
entend une Symphonie éloignée, & les Sons d'une Musette.)
ORCAN.
Quels concerts insolents osent se faire entendre ?
Ah ! c'est quelque amant suborneur.
Courons, gardons de nous laisser surprendre.
NERINE.
Quelle nouveauté ! quel bonheur !
(Orcan
fort, Argie rentre en même temps par le côté opposé.)
Scène
IV.
ARGIE,
NERINE.
ARGIE.
Qu'ai-je entendu ?
NERINE.
Restez : je vais vous instruire.
(Nérine
entre dans les coulisses.)
ARGIE.
Quel espoir pourrait me séduire !
Trop funestes accords ! peut-être annoncez-vous
Mon hymen & mon esclavage ?
(La
Symphonie se fait entendre de plus près, & devient plus touchante.)
Mais
les sons que j'entends n'ont rien d'assez sauvage,
Pour être le présage
Du retour affreux d'un jaloux.
NERINE,
rentrant sur la scène avec précipitation.
Accourez, venez voir ; c'est un enchantement.
ARGIE.
Qu'as-tu donc vu ?
NERINE.
J'ai vu paraître
Des Pèlerins le plus charmant.
Sa voix ravit d'étonnement :
Il a mille secrets qu'il vous fera connaître.
Cet homme est un trésor ; & je ne sais comment
A chaque mot qu'il dit, aussitôt il fait naître
Or, bijoux, perle, diamant...
Accourez, venez voir ; c'est un enchantement.
ARGIE.
Eh si c'était Anselme ! il est peut-être
Sous ce trompeur déguisement.
NERINE.
Ah, Dieux ! peut-on s'y méprendre ?
Est-il beau comme le jour ?
Sait-il des chansons d'amour ?
A-t-il de l'or à répandre ?
Orcan
veille de ce côté ;
L'Etranger peut ici se rendre.
Un instant de félicité
Est toujours bon à prendre.
ARGIE.
D'un inconnu quel plaisir puis-je attendre ?
Que sont ces trésors, ces charmes que tu dis ?
Encore si c'était mon Atis.
(La
Musette recommence ses chants, que répète l'écho.)
NERINE.
Ecoutez, écoutez les sons de sa Musette :
L'écho les répète.
Ecoutez.
ARGIE.
Mon âme est trop inquiète.
NERINE.
Vos yeux en seront enchantés,
Sortez.
ARGIE.
Non, laisse-moi, toute entière à moi-même,
Rêver à ce que j'aime.
NERINE,
allant au-devant des PELERINS.
Je veux rendre le calme à ses sens agités.
(Argie
s'assied dans un coin du Théâtre, & paraît rêver profondément,
sans faire attention à ce qui se passe. Nérine amène les Pèlerins
qui entrent en dansant.)
Scène
V.
ARGIE,
NERINE, ATIS, en Pèlerin, jouant de la Musette, PELERINS de la
Suite d'ATIS.
ATIS.
Venez tous en pèlerinage,
Accourez, Amants, venez tous.
Ah, que votre sort sera doux !
Accourez, Amants, venez tous.
Le bonheur est notre partage :
Nous
changeons de climats,
Sans trouver un climat sauvage ;
L'Amour est toujours du voyage ;
Et les fleurs naissent sous nos pas.
Venez
tous, &c.
(On
danse.)
ATIS,
à ARGIE.
L'espoir nous mène au bout du monde.
Il nous éveille chaque jour :
Si nous courons la Terre & l'Onde,
C'est pour trouver un coeur digne de notre amour.
ARGIE,
sortant de sa rêverie.
Ah ! j'en possédais un si fidèle & si tendre !
Je l'ai perdu.
ATIS
& LE CHOEUR DES PELERINS.
Venez le chercher avec nous.
ARGIE.
Pour retrouver Atis que ne puis-je entreprendre
Un voyage si doux !
ATIS,
se jetant aux pieds d'ARGIE.
Argie ! il est à vos genoux.
ARGIE.
Que vois-je ? & que viens-je d'entendre !
Ah, mon cher Atis ! est-ce vous ?
ATIS.
C'est lui qui vient vous défendre
De vos tyrans jaloux.
ARGIE.
Ah, mon cher Atis ! est-ce vous ?
ATIS.
Sous ce déguisement il fallait vous surprendre.
Quand sous l'amoureuse loi
On sait braver les obstacles,
L'Amour fait des miracles :
Vous les méritez tous, il les fait tous pour moi.
C'est
une fée enchanteresse,
Qui seconde ici nos amours :
Pour prix d'un utile secours,
Manto servira ma tendresse.
ARGIE.
Mon cher Atis, que ferons-nous ?
Anselme arrive ici, pour être mon époux.
ATIS.
Vous m'aimez ?
ARGIE.
Je vous aime.
ATIS.
Défions les jaloux.
ENSEMBLE.
Défions les jaloux.
Que leur rage, que leur courroux
Augmentent nos plaisirs même,
Et les rendent plus doux !
(Les
Pèlerins continuent leurs danses.)
Scène
VI.
ARGIE,
ATIS & ET LES PELERINS,
NERINE, rentrant sur la Scène avec effroi ;
ORCAN, qui paraît ensuite armé ridiculement.
NERINE.
Fuyez le sort qui vous menace ;
Orcan, prêt à combattre, avance dans ces lieux :
Il est armé d'une cuirasse.
Tremblez, tremblez !
ATIS.
D'un vil audacieux
Laissez-moi confondre l'audace.
ORCAN,
à ATIS au fond du Théâtre.
Fuis, redoute un affreux trépas...
Mais
il ne craint point ma présence !
Je meurs de peur s'il ne fuit pas,
Je suis perdu s'il avance.
ATIS.
Orcan, j'aime à voir ce grand coeur ;
Et veux éprouver ton courage.
(Il
se met en défense.)
ORCAN,
tremblant.
Sauve-toi ; ma bonté t'ouvre encore un passage.
ATIS.
J'aime mieux sentir ta valeur.
Défends-toi.
(Il
lui porte un coup.)
ORCAN,
tombant de frayeur.
Je suis mort ! o fatale disgrâce !
ATIS,
à sa suite.
Dans les fers qu'il soit arrêté.
ORCAN.
Belle Argie, obtenez ma grâce,
Pour prix du soin que vous m'avez coûté.
Nérine, ah, quel malheur ! Au nom de ta tendresse,
Implore sa bonté.
NERINE.
La pitié n'est qu'une faiblesse...
ORCAN.
Nérine, implore sa bonté.
ATIS,
à sa suite.
Vous, dont le zèle me seconde,
Venez, qu'il soit reçu soudain,
Qu'il soir armé Pèlerin,
Pour l'envoyer au bout du Monde.
CHOEUR
DES PELERINS.
Qu'il soit armé, &c.
(On
fait, en dansant, les cérémonies de la réception d'Orcan, qui
donnent lieu à ses frayeurs.)
LE
CHOEUR.
Hommage, rendons tous hommage
A ce joli Pèlerin.
ARGIE,
en le parant de Coquilles.
Daignez recevoir de ma main
L'ornement de ce Coquillage.
LE
CHOEUR.
Hommage, &c.
ATIS,
lui donnant le Chapeau.
Pour vous garantir du serein
Voici le Chapeau du voyage.
LE
CHOEUR.
Hommage,
&c.
NERINE,
lui donnant le Bourdon.
Prenez, pour vous mettre en chemin,
Le Sceptre du pèlerinage.
LE
CHOEUR.
Hommage, &c.
(Les
Pèlerins recommencent leurs danses, qui sont interrompues par
le bruit d'Anselme.)
CHOEUR,
qu'on entend de loin.
Ho, hé, ah, ah !
NERINE.
Qu'ai-je entendu ?
Tout est perdu !
ORCAN.
Anselme arrive !
ARGIE.
Anselme va paraître !
ORCAN.
Pauvre Orcan, que deviendras-tu ?
Que dira, que fera ton Maître ?
LE
CHOEUR.
Fuyez, Atis ; sauvons-nous.
ATIS.
Non, je veux braver son courroux :
Suivez-moi tous.
NERINE,
pendant que les autres Acteurs répètent
les paroles précédentes.
C'est un éclair
Qui fend l'air,
C'est le tonnerre qui gronde :
Le bruit
Qu'il produit
Saisit,
Remplit
D'effroi tout le monde,
Qui fuit.
(Tout
s'enfuit & se disperse dans les Bois.)
FIN
DU PREMIER ACTE.
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