Le Temple de la gloire
(variante)

Livret de Voltaire




 

 



 




"to hide art by very art"
"cacher l'art par l'art même"

 



 

Index
Sommaire
Site Map

 

Ce premier acte, différent de celui que présente le livret en cinq actes, est tiré d'une partition de Rameau. S'agit-il d'un premier projet pour la version de 1745, donnée à la Cour, où, au contraire, des changements apportés à l'oeuvre pour sa reprise en 1746 ? La version de 1746 présentait de nombreuses modifications : notamment un livret réduit à trois actes. Le Mercure de France, de mai 1746, citant une partie de la scène IV, semble indiquer que cet acte fait partie de la version remaniée.

 

PERSONNAGES

LIDIE.
ARSINE, confidente de Lidie.
BERGERS ET BERGERES.
UNE BERGERE.
UN BERGER.
BELUS.
ROIS CAPTIFS ET SOLDATS de la suite de Bélus.

 

LE TEMPLE DE LA GLOIRE

ACTE PREMIER

Scène 1

LIDIE, ARCINE.

LIDIE.
Muses, filles du ciel du ciel, la paix règne en vos fêtes ;
Vous suspendez les mortelles douleurs ;
Dans les coeurs des humains vous calmez les tempêtes ;
Les jours sereins naissent de vos faveurs.
Amour, sors de mon coeur ; Amour, brise ma chaîne ;
Bélus m'abandonne aujourd'hui ;
Dépit vengeur, trop juste haine,
Soyez, s'il se peut, mon appui.
Amour, sors de mon coeur ; Amour brise ma chaîne,
Ne sois pas tyran comme lui.

ARSINE.
Les Muses quelquefois calment un coeur sensible,
Et pour les implorer vous quitter votre cour ;
Mais craignez d'y chercher ce guerrier invincible :
Au temple de la Gloire, il vole en ce grand jour ;
Il en sera plus inflexible.

LIDIE.
Non, je veux dans son coeur porter le repentir.
Il cherche la Gloire, et ce nom me rassure,
La Gloire ne pourra choisir
Un vainqueur injuste et parjure.
Hélas ! je l'ai cru vertueux.
Que le sort l'a changé ! que sa grandeur l'égare !
Je l'ai cru bienfaisant, sensible, généreux ;
Son bonheur l'a rendu barbare.

ARSINE.
Il insulte à des rois qu'a domptés sa valeur ;
Devant lui marchent la Vengeance,
L'Orgueil, le Faste, la Terreur ;
Et l'Amour fuit sa présence.

LIDIE.
Que de crimes, ô ciel ! avec tant de vaillance !
Déesses de ces lieux, appuis de l'innocence,
Consolez mon coeur alarmé,
Secourez-moi contre moi-même,
Et ne permettez pas que j'aime
Un héros enivré de sa grandeur suprême,
Qui n'est plus digne d'être aimé.

Scène II

LIDIE, ARSINE, BERGERS ET BERGERES.

(Les bergers et bergères entrent en dansant au son des musettes.)

LIDIE.
Venez tendres bergers, vous qui plaignez mes larmes,
Mortels heureux, des Muses inspirés,
Dans mon coeur agité répandez tous les charmes
De la paix que vous célébrez.

CHOEUR DES BERGERS.
Oserons-nous chanter sur nos faibles musettes,
Lorsque les horribles trompettes
Ont épouvanté les échos ?

UNE BERGERE.
Nous fuyons devant ces héros
Qui viennent troubler nos retraites.

LIDIE.
Ne fuyez point Bélus ; employez l'art des dieux
A fléchir ce grand coeur autrefois vertueux.
Les Muses, dans ces bocages,
Inspirent vos chants divins ;
Vous calmez les monstres sauvages ;
Enchantez les cruels humains.

CHOEUR.
Enchantons les cruels humains.

(Ils recommencent leurs danses.)

UNE BERGERE.
Le dieu des beaux arts peut seul nous instruire,
Mais le seul Amour peut changer les coeurs ;
Pour les adoucir, il faut les séduire :
Du seul dieu d'Amour les traits sont vainqueurs.

(On danse.)

UNE BERGERE.
Descends, dieu charmant, viens montrer ta lyre.
Viens former les sons du dieu des neuf soeurs ;
Prête à la vertu ta voix, ton sourire,
Tes traits, ton flambeau, tes liens de fleurs.

(On danse.)

UN BERGER.
Vers ce temple où la Mémoire
Consacre les noms fameux,
Nous ne levons point nos yeux :
Les bergers sont assez heureux
Pour voir au moins que la gloire
N'est point faite pour eux.

(On entend un bruit de timbales et de trompettes.)

Scène III.

CHOEUR DE GUERRIERS.
La guerre sanglante,
La mort, l'épouvante,
Signalent nos fureurs.
Livrons-nous un passage,
A travers le carnage,
Au faîte des grandeurs.

CHOEUR DE BERGERS.
Quels sons affreux, quel bruit sauvage !
O Muses, protégez nos fortunés climats !

UN BERGER.
O Gloire, dont le nom semble avoir tant d'appas,
Serait-ce là votre langage ?

CHOEUR DE GUERRIERS.
Les éclairs embrasent les cieux,
La foudre menace la terre ;
Déclarez-vous, grands dieux,
Par la voix du tonnerre,
Que Bélus arrive en ces lieux ?

Scène IV.

BELUS ET LES PRECEDENTS.

BELUS.
Où suis-je ? qu'ai-je vu ?
Non, je ne puis le croire ;
Ce temple qui m'est dû,
Ce séjour de la Gloire
S'est fermé sur moi.
Mes soldatas ont pâli d'effroi.
La foudre a dévoré les dépouilles sanglantes
Que j'allais consacrer à Mars ;
Elle a brisé mes étendards
Dnas mes mains triomphantes.

Dieux implacables, dieux jaloux,
Qu'ai-je donc fait qui vous outrage ?
J'ai fait trembler l'univers sous mes coups,
J'ai mis des rois à mes genoux,
Et leurs sujets dans l'esclavage ;
Je me suis vengé comme vous,
Que demandez-vous davantage ?

CHOEUR DE BERGERS.
On n'imite point les dieux
Par les horreurs de la guerre ;
Il faut, pour être aimé d'eux,
Se faire aimer sur la terre.

UNE BERGERE.
Un roi que rien n'attendrit
Est des rois le plus à plaindre ;
Bientôt lui-même il gémit
Quand il se fait toujours craindre.

CHOEUR DE BERGERS.
Un roi que rien n'attendrit, etc.

BELUS.
Quoi ! dans ces lieux on brave ma fureur,
Quand le monde à mes pieds se tait dans l'épouvante ?

(On entend le son des musettes.)

Un plaisir inconnu me surprend et m'enchante
Dans le sein même de l'horreur.

(Les musettes continuent.)

De ces simples bergers la candeur innocente
Dans mon coeur étonné fait passer sa douceur.

(On danse.)

UNE BERGERE.
Un roi, s'il veut être heureux,
Doit combler nos voeux ;
Le vrai bonheur le couronne
Quand il le donne.
Dans les palais, dans les bois,
On chérit ses douces lois.
Il goûte, il verse en tous lieux
Les bienfaits des dieux.
A sa voix les vertus renaissent ;
Les Ris, les Jeux, le caressent ;
Le Gloire et l'Amour
Partagent sa cour :
Dans son rang suprême,
C'est lui seul qu'on aime ;
C'est lui plus que ses faveurs
Qui charme les coeurs.
Un roi s'il veut, etc.

CHOEUR DE BERGERS.
Un roi que rien n'attendrit
Est des rois le plus à plaindre ;
Bientôt lui-même il gémit
Quand il se fait toujours craindre.

LA BERGERE.
Ecoutez dans nos champs le dieu qui nous inspire,
Rendez tous les coeurs satisfaits,
De vos sévères lois adoucissez l'empire ;
La gloire est dans les bienfaits.

CHOEUR.
Un roi que rien, etc.

BELUS.
Plus j'écoute leurs chants et plus je deviens sensible.
Dieu ! m'avez-vous conduit dans ce séjour paisible
Pour m'éclairer d'un nouveau jour ?
Des flatteurs m'aveuglaient, ils égaraient leur maître ;
Et des bergers le fon connaître
Ce que j'ignorais dans ma cour.

LIDIE.
Connaissez encor plus , voyez toute ma flamme.
Je vous ai suivi dans ces lieux ;
Pour vous je demandais aux dieux
D'adoucir, de toucher votre âme.
Vos vertus autrefois avaient su m'enflammer ;
Vous avez tout quitté pour l'horreur de la guerre.
Ah ! je voudrais vous voir adoré de la terre,
Dussiez-vous ne me point m'aimer.

BELUS.
C'en est trop, je me rends au charme qui m'attire.
Peut-être que des dieux j'aurais bravé l'empire ;
Mais s'ils empruntent votre voix,
Ils ont guidé vos pas, leur bonté vous inspire ;
Je suis désarmé, je soupire :
J'ose espérer qu'un jour j'obtiendrai sous vos lois
La gloire immortelle où j'aspire.
Ces dieux, garants de mes voeux
Apaiseront leur colère ;
Et pour mériter de vous plaire,
Je rendrai les mortels heureux.

LIDIE ET BELUS.
Descends des cieux, lance tes flammes,
Triomphe, Amour, dieu des grands coeurs ;
Anime les vertus et les nobles ardeurs
Qui doivent régner dans nos âmes.

CHOEUR.
Entre la Gloire et les Amours,
Dans une paix profonde,
Allez donner tous deux au monde
De justes lois et de beaux jours.

FIN DE LA VARIANTE DU TEMPLE DE LA GLOIRE.