Les Indes galantes
Les Incas du Pérou


Livret de Louis Fuzelier




"to hide art by very art"
"cacher l'art par l'art même"

 


 

 

 



 

 



 


 

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Opéra-Ballet en un prologue et quatre Entrées.
Représenté pour la première fois le 23 août 1735

 

 

Les Incas du Pérou

Personnages.

CARLOS, Officier espagnol.
PHANI.
HUASCAR.

  Le théâtre représente un désert du Pérou, terminé par une montagne aride. Le sommet en est couronné par la bouche d'un volcan formée de rochers calcinés et couverts de cendres.

Scène 1.
PHANI, CARLOS, officier espagnol.

CARLOS.
Vous devez bannir de votre âme
La criminelle erreur qui séduit les Incas.
Vous l'avez promis à ma flamme.
Pourquoi différez-vous ? Non, vous ne m'aimez pas ...

PHANI.
Que vous pénétrez mal mon secret embarras !
Quel injuste soupçon ! ...
Quoi ! Sans inquiétude,
Brise-t-on à la fois
Les liens du sang et des lois?
Excusez mon incertitude !

CARLOS.
Dans un culte fatal, qui peut vous arrêter ?

PHANI.
Ne croyez point, Carlos, que ma raison balance !
Mais, de nos fiers Incas je crains la violence ...

CARLOS.
Ah ! Pouvez-vous les redouter ?

PHANI.
Sur ces monts, leurs derniers asiles,
La fête du Soleil va les ressembler tous ...

CARLOS.
Du trouble de leurs jeux, que ne profitons-nous ?

PHANI.
Ils observent mes pas ...

CARLOS.
Leurs soins sont inutiles,
Si vous m'acceptez pour époux.

PHANI.
Carlos, allez, pressez ce moment favorable,
Délivrez-moi d'un séjour détestable !
Mais ne venez pas seul ... Quel funeste malheur !
Si votre mort ... le peuple est barbare, implacable,
Et quelquefois le nombre accable
La plus intrépide valeur. Ciel !

CARLOS.
Pouviez-vous être alarmée ?
Oubliez-vous que dans ces lieux
Un seul de nos guerriers triomphe d'une armée ?

PHANI.
Je sais vos exploits glorieux,
Et qu'à votre courage il n'est rien d'impossible.
Cependant, cher Carlos, empruntez du secours !

CARLOS.
Que craignez-vous ?

PHANI.
Hélas! Je suis sensible ;
Lorsque l'on aime, on craint toujours.

 

Scène 2.
PHANI,  seule.
Viens, hymen, viens m'unir au vainqueur que j'adore !
Forme tes noeuds, enchaîne-moi !
Dans ces tendres instants où ma flamme t'implore,
L'amour même n'est pas plus aimable que toi.

 

Scène 3.
PHANI, HUASCAR.

HUASCAR, à part.
Elle est seule ... parlons ! L'instant est favorable ...
Mais je crains d'un rival l'obstacle redoutable.
Parlons au nom des Dieux pour surprendre son coeur !
Tout ce que dit l'Amour est toujours pardonnable,
Et le ciel que je sers doit servir mon ardeur.

A Phani.
Le dieu de nos climats dans ce beau jour m'inspire.
Princesse, le soleil daigne veiller sur vous,
Et lui-même dans notre empire,
Il prétend par ma voix vous nommer un époux.
Vous frémissez ... D'où vient que votre coeur soupire ?
Obéissons sans balancer
Lorsque le ciel commande !
Nous ne pouvons trop nous presser
D'accorder ce qu'il nous demande;
Y réfléchir, c'est l'offenser.
Obéissons sans balancer.

PHANI.
Non, non, je ne crois pas tout ce que l'on assure
En attestant les cieux ;
C'est souvent l'imposture
Qui parle au nom des Dieux.

HUASCAR.
Pour les Dieux et pour moi, quelle coupable injure !
Je sais ce qui produit votre incrédulité,
C'est l'amour !
Dans votre âme, il est seul écouté !

PHANI.
L'amour ! Que croyez-vous ?

HUASCAR
Oui, vous aimez, perfide,
Un de nos vainqueurs inhumains.
Ciel ! Mettras-tu toujours tes armes dans leurs mains?

PHANI.
Redoutez le Dieu qui les guide !

HUASCAR.
C'est l'or qu'avec empressement,
Sans jamais s'assouvir, ces barbares dévorent.
L'or qui de nos autels ne fait que l'ornement
Est le seul Dieu que nos tyrans adorent.

PHANI.
Téméraire ! Que dites-vous !
Révérez leur puissance, et craignez leur courroux.
Pour leur obtenir vos hommages,
Faut-il des miracles nouveaux ?
Vous avez vu, de nos rivages,
Leurs villes voler sur les eaux ;
Vous avez vu, dans l'horreur de la guerre,
Leur invincible bras disposer du tonnerre ...

 

Scène 4
HUSCAR & UN INCAS, son confident.
On entend un prélude qui annonce la Fête du Soleil.

HUASCAR, à part.
On vient, dissimulons mes transports à leurs yeux!

A l'Inca qu'il appelle.
Vous savez mon projet. Allez, qu'on m'obéisse ...

A part.
Je n'ai donc plus pour moi qu'un barbare artifice,
Qui de flamme et de sang inondera ces lieux.
Mais que ne risque point un amour furieux ?

 

Scène 5.
FÊTE DU SOLEIL.
HUASCAR, PHANI, ramenée par des Incas, PALLAS & INCAS,
SACRIFICATEURS, PÉRUVIENS & PÉRUVIENNES.

HUASCAR.
Soleil, on a détruit tes superbes asiles,
Il ne te reste plus de temple que nos coeurs.
Daigne nous écouter dans ces déserts tranquilles !
Le zèle est pour les Dieux le plus cher des honneurs.

Prélude pour l'adoration du Soleil.

Les Pallas et Incas font leur adoration au Soleil.

HUASCAR, puis CHOEUR.
Brillant soleil, jamais nos yeux, dans ta carrière,
N'ont vu tomber de noirs frimas,
Et tu répands dans nos climats
Ta plus éclatante lumière.

Air des Incas pour la dévotion du Soleil.

Danse de Péruviens et de Péruviennes.

HUASCAR.
Clair flambeau du monde,
L'air, la terre et l'onde
Ressentent tes bienfaits!
Clair flambeau du monde,
L'air, la terre et l'onde
Te doivent leurs attraits !

CHOEUR
Clair flambeau du monde,
L'air, la terre et l'onde
Ressentent tes bienfaits!
Clair flambeau du monde,
L'air, la terre et l'onde
Te doivent leurs attraits!

HUASCAR
Par toi dans nos champs tout abonde.
Nous ne pouvons compter les biens que tu nous fais.
Chantons-les seulement ! Que l'écho nous réponde !
Que ton nom dans nos bois retentisse à jamais !
Tu laisses l'univers dans une nuit profonde,
Lorsque tu disparais ;
Et nos yeux, en perdant ta lumière féconde,
Perdent tous leurs plaisirs ; la beauté perd ses traits.

Loure en rondeau.

HUASCAR.
Permettez, astre du jour,
Qu'en chantant vos feux
Nous chantions d'autres flammes ;
Partagez, astre du jour,
L'encens de nos âmes
Avec le tendre amour.
Le soleil, en guidant nos pas,
Répand ses appâts
Dans les routes qu'il pare.
Raison, quand malgré tes soins,
L'amour nous égare,
Nous plaît-il moins ?
Vous brillez, astre du jour !
Vous charmez nos yeux par l'éclat de vos flammes !
Vous brillez, astre du jour !
L'astre de nos âmes,
C'est le tendre amour.
De nos bois chassez la tristesse,
Régnez-y sans cesse,
Dieux de nos coeurs !
De la nuit le voile sombre
Sur vos attraits n'étend jamais son ombre ;
Tous les temps, aimables vainqueurs,
Sont marqués par vos faveurs.

On danse, et la fête est troublée par un tremblement de terre.

Première Gavotte

Deuxième Gavotte en Rondeau

Tremblement de terre

CHOEUR.
Dans les abîmes de la terre,
Les vents se déclarent la guerre.

L'air s'obscurcit, le tremblement redouble, le volcan s'allume et jette par tourbillons du feu et de la fumée.

Les rochers embrasés s'élancent dans les airs,
Et portent jusqu'aux cieux les flammes des enfers.

L'épouvante saisit les Péruviens, l'assemblée se disperse.Huascar arrête Phani. Le tremblement de terre semble s'apaiser.

 

Scène 6.
HUASCAR, PHANI.

HUASCAR, à Phani qui traverse le théâtre en s'enfuyant.
Arrêtez !
Par ces feux le ciel vient de m'apprendre
Qu'à son arrêt il faut vous rendre,
Et l'hymen ...

PHANI.
Qu'allez-vous encore me révéler ?
O jour funeste ! Dois-je croire
Que le ciel, jaloux de sa gloire,
Ne s'explique aux humains qu'en les faisant trembler ?

HUASCAR, l'arrêtant encore.
Vous fuyez, quand les Dieux daignent vous appeler !
Eh bien! cruelle, eh bien! vous allez me connaître.
Suivez l'amour jaloux !

PHANI, se reculant.
Ton crime ose paraître !

HUASCAR.
Que l'on est criminel lorsque l'on ne plaît pas !
Du moins en me suivant évitez le trépas ! ...

Ici je vois partout l'affreuse mort suivie
D'un redoutable embrasement.
Chaque instant peut de votre vie
Devenir le dernier moment.

 

Scène 7.
PHANI, HUASCAR, CARLOS.

HUASCAR, à Phani.
Quoi ! Plus que le péril mon amour vous étonne ?
C'est trop me résister ...

PHANI.
O ciel, entends mes voeux!

HUASCAR.
C'est aux miens qu'il vous abandonne.

CARLOS, arrivant sur Huascar un poignard à la main.
Tu t'abuses, barbare!

PHANI.
Ah ! Carlos ! Je frissonne.
Le soleil jusqu'au fond des antres les plus creux
Vient d'allumer la terre, et son courroux présage ...

CARLOS.
Princesse, quelle erreur !
C'est le ciel qu'elle outrage.
Cet embrasement dangereux
Du soleil n'est point l'ouvrage,
Il est celui de sa rage.
Un seul rocher jeté dans ces gouffres affreux,
Y réveillant l'ardeur de ces terribles feux,
Suffit pour exciter un si fatal ravage.
Le perfide espérait vous tromper dans ce jour,
Et que votre terreur servirait son amour.
Sur ces monts mes guerriers punissent ses complices,
Ils vont trouver dans ces noirs précipices
Des tombeaux dignes d'eux.

A Huascar.
Mais il te faut de plus cruels supplices.

A Phani.
Accordez votre main à son rival heureux,
C'est là son châtiment !

HUASCAR.
Ciel ! Qu'il est rigoureux.

PHANI, CARLOS / HUASCAR
Pour jamais, l'amour nous engage./ Non, non, rien n'égale ma rage.
Non, non, rien n'est égal à ma félicité./ Je suis témoin de leur félicité.
Ah! Mon coeur a bien mérité / Faut-il que mon coeur irrité
Le sort qu'avec vous il partage. / Ne puisse être vengé d'un si cruel outrage ?

 

Scène 8.


LES MÊMES.

Le volcan se rallume, et le tremblement de terre recommence.

HUASCAR.
La flamme se rallume encore,
Loin de l'éviter, je l'implore ...
Abîmes embrasés, j'ai trahi les autels.
Exercez l'emploi du tonnerre,
Vengez les droits des immortels,
Déchirez le sein de la terre,
Sous mes pas chancelants !
Renversez, dispersez ces arides montagnes,
Lancez vos feux dans ces tristes campagnes,
Tombez sur moi, rochers brûlants.

Le volcan vomit des rochers enflammés qui écrasent le criminel Huascar.

FIN DES INCAS DU PÉROU.