Les
Fleurs - Fête persane

Personnages.
ALI, Prince persan.
TACMAS, Favori de Tacmas.
ZAIRE, Esclave d'Ali.
FATIME, Esclave de Tacmas.
Le
théâtre représente les jardins du palais d'Ali.
Scène
1.
TACMAS, prince persan déguisé en marchande
du sérail,
ALI, favori de Tacmas.
ALI,
à part.
Mon abord paraît l'interdire ...
Haut.
Étrangère,
approchez !
Portez-vous dans ces lieux,
De ces ouvrages curieux
Qu'imagine l'Europe et que l'Asie admire ?
TACMAS,
levant son voile.
Ton prince déguisé se présente à tes yeux.
Dans tes jardins l'amour m'attire...
ALI.
Quelle heureuse beauté ? ...
TACMAS.
C'est la jeune Zaïre
Qui m'a frappé d'un trait victorieux.
ALI.
Zaïre, mon esclave?
TACMAS.
Elle est ma souveraine.
Ali, je viens briser sa chaîne;
Mais, hélas! n'est-ce point te trahir que l'aimer?
ALI.
Seigneur, Zaïre est belle et n'a pu m'enflammer ;
Je respectais vos feux, sans les connaître encore !
Mais, quoi, vous possédez Fatime et ses appâts !
Non, rien n'est si charmant ...
TACMAS.
Cher Ali, je l'ignore.
Fatime à mes regards ne se présente pas.
ALI,
à part.
Il m'est permis enfin de brûler pour Fatime,
Et de lui révéler le secret de mes voeux.
TACMAS,
Je réserve à Zaïre un honneur légitime,
J'égalerai sa gloire à l'excès de mes feux.
L'objet
à qui je rends les armes
Mérite un destin éclatant:
L'amour gardait ses charmes,
Pour instruire mon coeur du prix d'un feu constant.
ALI.
Pourquoi vous déguiser à l'aimable Zaïre,
Quand vous lui promettez le plus parfait bonheur ?
TACMAS
Je veux pénétrer dans son coeur,
Avant que dans le mien ses beaux yeux puissent lire
L'excès de ma nouvelle ardeur.
ALI.
Dans ce jour où des fleurs nous célébrons la fête,
Des myrthes les plus doux vous serez couronné.
TACMAS.
Je vois Zaïre. Va ! des jeux que l'on apprête
Embellis, s'il se peut, l'appareil ordonné !

Scène
2.
TACMAS, en marchande du sérail, ZAÏRE,
avançant lentement sans le voir.
TACMAS,
à part.
Elle paraît livrée à quelque inquiétude ...
Cachons-nous ! Découvrons ce qui la fait souffrir !
Quelquefois la solitude
Engage un coeur à s'ouvrir.

Scène
3.
ZAÏRE, TACMAS caché.
ZAÏRE.
Amour, Amour, quand du destin j'éprouve la rigueur,
La tienne seulement me fait verser des larmes.
Ma faiblesse aujourd'hui redouble mon malheur,
Et cependant, hélas! elle a pour moi des charmes !

Scène
4.
LES MÊMES.
ZAÏRE,
sans voir Tacmas.
Quoi, Zaïre ose aimer !
TACMAS,
à part.
Quel funeste secret vient-elle de m'apprendre ?
Mais contraignons un transport indescret !
Le nom de mon rival reste encore à surprendre.
A
Zaïre.
Belle
esclave, je viens vous offrir mon secours.
Vous aimez ... à mes soins, confiez vos amours !
ZAÏRE.
Peut-on aimer dans l'esclavage ?
C'est en augmenter la rigueur.
Le plaisir fuit un coeur
Que la fortune outrage.
TACMAS.
On doit aimer dans l'esclavage,
C'est en adoucir la rigueur.
Le plaisir dédommage un coeur
Que la fortune outrage.
ZAÏRE.
Cessez ce vain discours!
TACMAS,
la retenant.
Pardonnez à mon zèle ...
Attendez ... accordez du moins quelques moments
À des tableaux où l'art excelle !
A
part, se fouillant.
Montrons-lui
mon portrait !
Dans ces regards charmants,
Je pourrai, sans soupçon, lire ses sentiments.
A
Zaïre, lui montrant le portrait.
Voyez
cette peinture!
ZAÏRE,
interdite.
Ah! que me montrez-vous?
A
part.
Je ne l'ai que trop vu.
TACMAS,
à part.
Ciel ! quel affreux augure !
Mon portrait semble attirer son courroux ...
Et j'entends son coeur qui soupire ...
Elle forme des voeux ... Un autre les inspire !
Qui peut-être l'objet de mes transports jaloux?

Scène
5.
TACMAS,
ZAÏRE, FATIME, en esclave polonais.
TACMAS.
Que vois-je ? C'est le téméraire.
Son embarras décèle un amant déguisé.
A
Zaïre qui sort.
Zaïre,
où fuyez-vous?
FATIME,
arrêtant Tacmas.
Demeurez, étrangère!
Votre secours m'est nécessaire ;
À mes ardent désirs sera-t-il refusé ?

Scène
6.
FATIME,
TACMAS.
TACMAS,
à part.
Suspendons un instant ma trop juste vengeance,
Et pour fixer leur châtiment,
Sachons jusqu'où leurs coeurs étaient d'intelligence !
A
Fatime.
Parlez-moi
sans déguisement !
Comptez pour vous servir sur mon empressement !
FATIME.
Dans ces jardins l'amour m'appelle,
Peut-on résister à sa voix ?
Le cher objet qui me tient sous ses lois
Ignore mon ardeur fidèle,
Je viens lui déclarer mon choix.
Dans ces jardins l'amour m'appelle,
Peut-on résister à sa voix ?
Soulagez ma peine cruelle !
Hélas ! pour obéir au dangereux amour
Je risque de perdre le jour.
A
Tacmas.
Puisque
de ces beaux lieux vous connaissez le maître,
Vous savez qu'un coeur tendre en peut être charmé !
TACMAS,
à part, considérant Fatime.
Il craint que de Zaïre Ali ne soit aimé.
Il est jaloux, bientôt il se fera connaître.
Des périls qu'il court dans ces lieux
Il ne sait pas le plus terrible ...
Il voit sans défiance un rival furieux,
Il le fait confident de son coeur trop sensible ?

Scène
7.
FATIME, TACMAS, ALI, ZAÏRE.
TACMAS,
à Fatime.
Achevez, nommez-vous!
FATIME,
hésitant.
Je suis ...
TACMAS.
Vous balancez!
ALI,
au fond du théâtre, amenant Zaïre.
Venez, belle Zaïre ! Approchez, et cessez
De fuir la plus brillante gloire!
De vos divins appâts apprenez la victoire !
TACMAS.
Apprends toi-même, Ali, mon déplorable sort!
Un rival jusqu'ici m'offense.
Tacmas
montre à Ali, Fatime, et tire son poignard pour frapper cette
amante déguisée.
Vois
le perfide et ma vengeance!
FATIME,
reconnaît le Prince et se jette à ses
genoux.
C'est le Prince, frappez ! Je mérite la mort ;
Mais, en me punissant, connaissez mieux mon crime !
ALI,
reconnaissant Fatime.
O ciel, c'est l'aimable Fatime !
A
Tacmas.
Ah!
Seigneur !
TACMAS,
souriant à Ali.
J'entends ce transport.
ALI,
à Tacmas.
Que la clémence vous désarme!
Je vous conjure au nom de l'objet qui vous charme.
TACMAS.
Au beau nom de Zaïre on ne refuse rien ;
Levant
son voile.
Mais
qu'accordera-t-elle au mien ?
Pourra-t-elle me voir, si mon portrait l'alarme ?
ZAÏRE,
à Tacmas.
Que vous expliquez mal le trouble de mon coeur !
Ne s'alarme-t-on pas en voyant son vainqueur ?
Deviez-vous
vous méprendre
À mes sens agités?
Un trouble que vous excitez
Ne peut être que tendre.
TACMAS,
à Zaïre.
Je prétends que l'hymen vous assure ma foi.
Non, rien ne doit borner les transports de mon âme.
ZAÏRE.
Pour justifier votre flamme, Seigneur, je sors du sang d'un
roi.
TACMAS.
Je n'ai pas attendu, trop aimable Princesse,
L'aveu de votre rang pour croire ma tendresse.
A
Fatime et Ali.
Je veux
que tout ici soit heureux comme moi.
Ali, je t'accorde Fatime,
Son déguisement t'exprime
L'ardeur qu'elle sent pour toi.
FATIME,
ALI.
Ah ! Seigneur, quel moment ! Quel bonheur je vous
dois !
Que de plaisirs ensemble un si beau jour amène !
TACMAS,
ZAÏRE, FATIME, ALI.
Tendre amour, que pour nous ta chaîne
Dure à jamais !
Prélude.
Annonce de la Fête des Fleurs.
TACMAS,
à Zaïre.
On vient ... Voyez les jeux, augmentez leurs attraits !

Scène
8.
LA FÊTE DES FLEURS.
La ferme s'ouvre ; alors tout le théâtre représente des
berceaux illuminés et décorés de guirlandes et de pots de fleurs.
Des symphonistes et des esclaves chantants sont distribués dans
des balcons et des feuillages. D'aimables odalisques de diverses
nations de l'Asie portent dans leurs habits les fleurs les plus
belles : l'une a pour parure la rose; l'autre, la jonquille;
enfin toutes se singularisent par des fleurs différentes
Marche
CHOEUR.
Dans le sein de Thétis précipitez vos feux,
Fuyez, astre du jour, laissez régner les ombres !
Nuit, étendez vos voiles sombres !
Vos tranquilles moments favorisent nos jeux.
TACMAS,
à Zaïre.
L'éclat des roses les plus belles
Disparaît bientôt avec elles ;
En vain sur ce bord fortuné,
À chaque instant il en naît d'autres,
Il est moins orné par leurs attraits que par les vôtres.
ZAÏRE.
Triomphez, agréables fleurs !
Répandez vos parfums,
Ranimez vos couleurs!
CHOEUR.
Triomphez, agréables fleurs !
Répandez vos parfums,
Ranimez vos couleurs !
ZAÏRE.
C'est parmi vous qu'Amour cache sous la verdure
Ses feux les plus ardents, ses plus aimables traits.
Le printemps vous doit ses attraits,
Vous parez la saison qui pare la nature.
Vous tenez le rang suprême
Sur le bord de nos ruisseaux;
Et vous embellissez, dans les jours les plus beaux,
La beauté même.
CHOEUR.
Triomphez, agréables fleurs !
Répandez vos parfums,
Ranimez vos couleurs !
Premier
Air pour les Persans
Deuxième
Air pour les Persans
FATIME.
Papillon inconstant,
Vole dans ce bocage!
Arrête-toi,
Suspends le cours
De ta flamme volage !
Jamais
si belles fleurs, sous ce naissant ombrage,
N'ont mérité de fixer tes amours.
BALLET
DES FLEURS.
Ce ballet représente pittoresquement le sort des Fleurs dans
un jardin. On les a personnifiées ainsi que Borée, les Aquilons
et Zéphire, pour donner de l'âme à cette peinture galante, exécutée
par d'aimables esclaves de l'un et l'autre sexe. D'abord les
Fleurs choisies qui peuvent briller davantage au théâtre dansent
ensemble et forment un parterre qui varie à chaque instant.
La Rose, leur reine, danse seule. La fête est interrompue par
un orage qu'amène Borée ; les Fleurs en éprouvent la colère ;
la Rose résiste plus longtemps à l'ennemi qui la persécute ;
les pas de Borée expriment son impétuosité et sa fureur ;
les attitudes de la Rose peignent sa douceur et ses craintes.
Zéphire arrive avec la clarté renaissante ; il ranime et
relève les Fleurs abattues par la Tempête, et termine leur triomphe
et le sien par les hommages que sa tendresse rend à la Rose
Premier
Air pour les Fleurs
Deuxième
Air pour les Fleurs
Gavotte
en rondeau
Orage
Air
pour Borée
Premier
Air pour Zéphire
Deuxième
Air pour Zéphire
Air
pour les Fleurs
Gavotte
FIN
DES FLEURS.
