L'Enlèvement
d'Adonis
Le
Théâtre représente une vaste Forêt.
Scène
première.
L'AMOUR.
Pour surprendre Adonis j'abandonne les cieux,
C'est l'Amour qui le suit, c'est Vénus qui l'adore ;
Diane trop longtemps le dérobe à nos yeux.
C'est ici chaque jour qu'il devance l'aurore,
Et je viens, plus touché de l'emploi glorieux
D'instruire un jeune coeur des secrets qu'il ignore,
Que de régner sur tous les Dieux.
(Adonis
paraît.)
C'est
lui... que j'aime à voir l'ennui qui le dévore !
(L'Amour
se retire un moment pour observer Adonis & pour quitter
ses armes.)
SCENE
II
ADONIS.
O Diane ! O sombres forêts !
Pourquoi n'avez-vous plus de charmes ?
Dans
vos jeux innocents je trouvais mille attraits.
Fiers habitants des bois ne craignez plus mes armes ;
Le trouble de mon coeur va vous donner la paix.
O
Diane ! O sombres Forêts !
Pourquoi n'avez-vous plus de charmes ?
(L'Amour
reparaît sans armes.)
SCENE
III
L'AMOUR,
ADONIS.
L'AMOUR.
Vous qui connaissez ce séjour,
De mes pas égarés daignez être le guide.
En quels lieux sommes-nous ?
ADONIS.
Diane ici préside,
Et ces bois mènent à sa cour.
L'AMOUR.
Dans ces lieux écartés n'a-t-on point vu l'Amour ?
ADONIS.
L'Amour ! Qui ? Ce monstre terrible,
Ce fatal ennemi du repos des humains !
Ah ! Qu'il éprouverait un châtiment horrible
S'il tombait dans nos mains.
L'AMOUR.
Le Dieu qui fait aimer, le Dieu qui rend aimable
Est-il un monstre redoutable ?
Hélas ! Peut-on le craindre ? Il est fait comme vous.
Dans un âge si tendre, avec des traits si doux,
Le Dieu qui fait aimer, le Dieu qui rend aimable
Est-il un monstre redoutable ?
ADONIS.
Il est armé de feux vengeurs...
L'AMOUR.
Ses feux sont de douces ardeurs
Qui brillent dans les yeux, qui coulent dans les veines.
ADONIS.
Il mêle à ses plaisirs des rigueurs inhumaines.
L'AMOUR.
Jugez du prix de ses faveurs,
Puisqu'il fait adorer ses peines.
ADONIS.
Il ne se nourrit que de pleurs.
L'AMOUR.
Il est le Dieu des ris.
ADONIS.
Ses liens sont des chaînes.
L'AMOUR.
Ses chaînes sont des fleurs.
ADONIS.
Mais c'est un enchanteur... Ah ! Je l'éprouve même
Au charme dangereux que vous tenez de lui.
L'AMOUR.
S'il enchantait vos sens, s'il charmait votre ennui ?
ADONIS.
Non. Ma frayeur serait extrême !
L'AMOUR.
Je vous entendais soupirer,
Quand vous rêviez sous cet ombrage ;
C'est le réveil d'un coeur qui cherche à s'éclairer.
Le votre enfin commence à murmurer
D'un trop long esclavage.
ADONIS.
Si l'on connaît son coeur par ses désirs,
Je l'avouerai, le mien se fait déjà connaître.
L'AMOUR.
Allons chercher l'Amour, il vous dira peut-être
D'où naissent vos premiers soupirs...
Que sa mère, Adonis, vous ferait mieux entendre
Un mystère si tendre !...
Que vous lui trouveriez d'attraits !
ADONIS.
Son nom n'est point encor connu dans ces forêts.
L'AMOUR.
Diane a mille appas, & la cour qui l'adore
Offre les objets les plus doux.
Vénus d'un seul regard les effacerait tous.
Sur le char du matin vous avez vu l'Aurore,
Et Vénus est plus belle encore.
ADONIS.
Plus belle ! O ciel, que dites-vous ?...
De mes transports je ne suis plus le maître,
Allons chercher l'Amour...
L'AMOUR.
Adonis, tu le vois,
Et Vénus va paraître.
ADONIS.
Au trouble de mon âme, au charme de sa voix
Pouvais-je, ô ciel, le méconnaître !
(L'arrivée
de Vénus est annoncée par une symphonie agréable, & par
la danse des Grâces, qui la précèdent. Elles environnent Adonis,
qui ne sait d'abord laquelle adorer. Vénus paraît & fixe
ses regards.)
Scène
IV
VENUS,
ADONIS.
(L'Amour et les Grâces restent au fond
du Théâtre.)
VENUS,
à ADONIS.
Vous parliez à l'Amour, quoi ? Vous ne craignez plus
D'écouter son tendre langage ?
ADONIS.
Mon coeur risquera davantage
S'il écoute Vénus.
VENUS.
Vous plairez-vous toujours dans ce lieu solitaire ?
ADONIS.
Avant ce jour, hélas ! J'y bornais tous mes voeux.
VENUS.
La Déesse des bous sans doute a su vous plaire ?
Vous l'aimez ?
ADONIS.
Je dois tout à ses soins généreux,
J'écoute ses leçons, je lui marque mon zèle...
Mais fais-je encore ce que je veux ?...
Demandez à l'Amour s'il m'a parlé pour elle.
VENUS.
S'il était un autre séjour
Où la voix du plaisir se ferait seule entendre,
Où pour vous mille jeux renaîtraient chaque jour,
Où toujours adoré, vous seriez toujours tendre...
Quitteriez-vous ces lieux pour un séjour si doux ?
Parlez.
ADONIS.
Déesse, y seriez-vous ?
VENUS.
Oui, charmant Adonis, j'y serais pour vous plaire,
Pour jouir d'un bonheur qui fixe tous mes voeux,
Pour y brûler de tous les feux
Qu'Amour peut allumer dans le sein de sa mère.
Fuyez
une loi trop sévère,
Je garde un sort plus doux au plus beau des mortels ;
Venez partager à Cythère
Et ma tendresse et mes autels.
ADONIS
jetant son javelot.
Ah ! Je vous suis partout. C'est l'Amour qui l'ordonne ;
Eh ! Qui pourrait lui résister !...
Mais Diane que j'abandonne...
Mais vous que je ne puis quitter...
Pardonnez ce désordre à mon premier hommage.
Adonis est à vous. Adonis est charmé.
VENUS.
Son coeur m'aimera davantage
Puisqu'il na point encor aimé.
ENSEMBLE.
Dieux ! Quel bonheur sera le nôtre !
Hâtons l'instant de nos plaisirs.
Pourquoi languir dans les désirs ?
Quand deux coeurs sont faits l'un pour l'autre.
(Le
duo est interrompu par un bruit de Chasse. L'Amour qui est sorti
du théâtre, pour observer ce qui se passe, rentre tout effrayé.)
Scène
V.
VENUS,
L'AMOUR, ADONIS.
L'AMOUR.
Diane assemble ici sa Cour.
Fuyons, sortons de ce séjour,
Et cherchons dans les airs une route nouvelle;
ADONIS.
La fuir ! Ah ciel, que dira-t-elle ?
L'AMOUR.
Que tout cède à l'Amour.
(L'Amour,
Vénus & Adonis sortent ensemble. Des Chasseurs & des
Nymphes entrent sur le Théâtre en dansant, & forment un
Divertissement, qui est ensuite troublé par l'arrivée de Diane,
& par ses plaintes.)
Scène
VI.
DIANE,
NYMPHES & CHASSEURS.
UNE
NYMPHE, avec le CHOEUR.
Le jour vient d'éclore
Diane est au bois,
Son cor & sa voix
Nous pressent encore.
Courons si bien tous
Que l'Amour jaloux
Ne nous puisse atteindre.
Tranquille séjour
Tu n'as point à craindre
Les traits de l'Amour.
(Les
Jeux des Chasseurs continuent, & leurs voix se mêlent aux
chants de la Nymphe).
LA
NYMPHE, alternativement avec le CHOEUR.
L'oiseau le plus tendre,
Discret dans ses chants,
Craint de faire entendre
Des sons trop touchants.
L'Amour nous offense
Même en ses chansons :
Chantons l'innocence
Dont nous jouissons.
(On
danse.)
CHOEUR
de NYMPHES, derrière le théâtre.
Adonis,
Adonis, pourquoi nous fuyez-vous ?
(Diane
arrive.)
Scène
VII.
DIANE,
LES CHOEURS.
DIANE.
O Dieux ! Quel ravisseur jaloux
Peut ici braver ma puissance ?
Courons, courons à la vengeance !
Volons sur ses pas ; armons nous.
CHOEUR
de NYMPHES & de CHASSEURS.
Courons, courons à la vengeance !
Volons sur ses pas ; armons nous.
(Une
partie des Nymphes & des Choeurs sort du théâtre pour suivre
Adonis.)
DIANE.
L'Amour a-t-il séduit sa crédule innocence ?
Cruel, je reconnais tes coups :
Courons, courons à la vengeance,
Volons sur ses pas ; armons-nous.
Jupiter,
prends-tu sa défense ?
Si tu ne punis qui m'offense,
Tout se ressentira de mon juste courroux.
La
plus affreuse nuit couvrira ses rivages,
J'obscurcirai mes feux qui brillent dans les airs.
Hécate ira dans les enfers.
Des torrents du Ténare exciter les ravages.
Et je déchaînerai du fond de ces déserts
Mille monstres sauvages
Qui désoleront l'univers.
(Mercure
descend du Ciel.)
Scène
VIII.
MERCURE,
DIANE, NYMPHES.
DIANE.
Mercure, venez-vous m'apprendre
Que mes pleurs ont touché les Dieux ?
MERCURE.
Oui, l'objet de tes voeux va paraître en ces lieux,
Vénus consent à te le rendre,
Oses, si tu veux, le reprendre ;
Mais garde-toi de l'erreur de tes yeux,
Et crains de te laisser surprendre.
(Vénus
paraît sur un nuage ayant devant elle l'Amour & Adonis déguisé
sous les mêmes traits, avec les armes & les attributs de
ce Dieu : Vénus est accompagnée de toute sa suite.)
Scène
IX.
VENUS,
DIANE, MERCURE, ADONIS, L'AMOUR, GRACES, JEUX & PLAISIRS.
VENUS
en présentant à Diane l'Amour & Adonis,
déguisés sous les mêmes traits.
Je cède à tes désirs par une loi suprême.
Sous les traits de l'Amour je te rends Adonis,
Tu le vois près de l'Amour même ;
Tu peux choisir.
DIANE.
O Dieux ! Qu'entends-je ? Je frémis !
Adonis... répondez... Il garde le silence...
Dieux ! Si j'allais choisir l'ennemi qui m'offense !...
Vénus,
tu l'emportes sur moi.
Garde un ingrat que je te livre :
Dès qu'il a pu te suivre,
Il n'est plus digne que de toi.
(Elle
sort.)
L'AMOUR.
Nous triomphons de sa colère.
Sombres forêts, triste séjour,
Disparaissez, laissez voir à l'Amour
Des lieux plus dignes de lui plaire.
(Le
théâtre change ; on voit les Jardins d'Amathonte, ornés
de berceaux et de portiques dorés.)
Scène
X.
L'AMOUR,
VENUS, ADONIS, les GRACES.
CHOEUR des AMOURS, des PLAISIRS & des JEUX.
CHOEUR.
Chantons l'Amour & sa conquête,
Qu'il va combler d'heureux désirs !
L'Hymen en prépare la fête,
L'Amour en promet les plaisirs.
VENUS.
Votre bonheur fait ma gloire suprême,
Ah, quel plaisir de vous charmer !
ADONIS.
L'Amour donne un coeur pour aimer,
Et c'est Vénus qu'il faut qu'on aime.
Quel
amant fut jamais épris
D'une ardeur si pure et si belle ?
Quel
doit être l'excès d'une flamme nouvelle
Dont l'Amour est l'auteur, dont Vénus est le prix.
(La
Suite de Vénus forme un ballet, auquel les Grâces président.)
VENUS.
Le premier trait que l'Amour lance
Est celui qui blesse le mieux.
Que ce Dieu plaît à sa naissance !
L'instant qui détruit l'ignorance
Est l'instant le plus précieux ;
Quand on sort de l'indifférence,
Le premier trait que l'amour lance
Est celui qui blesse le mieux.
L'AMOUR
à ADONIS.
Diane que tu crois si fière & si sauvage,
N'a pas toujours gardé son coeur,
Et je veux que ces jeux te retracent l'image
Du berger qui fut son vainqueur.
(Des
plaisirs déguisés exécutent les ordres de l'Amour ; Endymion
paraît endormi au fond du théâtre sur un lit de gazon. Diane
descend de son char avec un Amour à ses pieds, elle contemple
le Berger, dont elle devient amoureuse. Danse de Diane &
de l'Amour qui éveille Endymion. Surprise, enchantement du Berger,
action Pantomime représentant les amours de Diane & d'Endymion,
que la Déesse enlève dans son char.)
CHOEUR.
Chantons l'Amour & sa conquête.
Qu'il va combler d'heureux désirs !
L'Hymen en prépare la fête,
L'Amour en promet les plaisirs.
(Ce
choeur est accompagné d'une Danse générale.)
FIN
DE L'ENLEVEMENT D'ADONIS
(fin de la première entrée).