Projet de refonte de
Castor et Pollux
attribué à Dauvergne




 

 



 




"to hide art by very art"
"cacher l'art par l'art même"

 



 

 

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Ce texte a été publié dans le Bulletin de la Société de l'Histoire du Théâtre, en 1910 ( n° 3-4).

La pièce n'est pas datée, mais des rapprochements de dates montrent qu'elle est antérieure à la fin de 1786 (mort de Sacchini), et sans doute postérieure à 1784, année où Castor et Pollux fut encore joué sept fois ; et tout porte à croire que c'est bien Dauvergne qui l'adressa à Papillon de la Ferté (le directeur des Menus Plaisirs), lorsqu'il eut repris, pour la troisième fois, en 1785, les rênes de l'Opéra.
Castor et Pollux, chef d'œuvre incontestable et incontesté de Rameau, avait été repris dix fois depuis 1737. Mais, aux dernières apparitions sur la scène, les "connaisseurs", et probablement la Reine, avaient sans doute émis le regret qu'une si belle œuvre fût si vieillie par endroits et qu'un si beau sujet ne pût être repris sur nouveaux frais. C'est alors que Dauvergne, s'ingéniant, trouva la solution que l'on va voir, aussi flatteuse pour la gloire de Rameau (pensait-il sans doute) qu'attrayante pour le public : cinq musiciens, et des plus illustres, auraient assumé la tâche de restaurer le monument lézardé du vieux Rameau, en en gardant les frontons et, pour le reste, en suppléant à sa faiblesse. Il est malheureux que ce chef d'œuvre n'ait pas vu le jour : il ne reste même pas le moindre témoignage que l'idée ait été prise au sérieux, pas un mot de réponse de La Ferté. On sait seulement qu'elle fit sont chemin un peu plus tard au de Candeille, qui ne craignit pas, en 1791, de remettre en musique le poème de Gentil-Bernard, en y conservant de Rameau, par ordre, divers morceaux célèbres, qu'il réinstrumenta d'ailleurs.

H. de C.

 

Monsieur,

Après avoir examiné tous les moyens possibles pour reproduire sur la scène l'opéra de Castor, je me suis enfin arrêté à celui-ci que je vous soumets.

Il n'est point sans difficultés, mais elles disparaîtront par le désir d'être agréable à la Reine, ou avec le grand moteur des actions humaines, l'argent.

On ne peut se dissimuler qu'il doit être très intéressant, et très piquant, de voir dans un seul ouvrage les talents réunis des plus célèbres compositeurs de l'Europe, distribués de manière que chaque auteur y peut paraître avec avantage. Le poème de Castor est le seul drame lyrique qui puisse permettre cette variété. Chaque acte, pris isolément, offre un spectacle entier, et l'ensemble du tout est le chef d'œuvre de l'Opéra. C'est ce qui m'a déterminé à donner à chaque auteur un acte entier à faire, en lui observant cependant quels sont les morceaux de l'ouvrage de Rameau qui doivent être conservés. J'ai aussi observé quel était le genre de musique le plus convenable au génie de mes auteurs, et c'est ce qui a déterminé la distribution suivante :

Examen de l'ouvrage. Choix des auteurs et des morceaux à conserver.


PREMIER ACTE.

M. LANGLÉ.

Le premier acte est beau à faire ; il contient à lui seul tous les beaux mouvements de la tragédie, et cependant c'est le plus faible de l'ouvrage de Rameau. Je ne vois à rien à conserver dans le chant, ni même dans les ballets ; à moins que ce ne soit le premier menuet et le premier tambourin. M. Langlé, dont je connais les talents, doit bien s'acquitter de cet ouvrage.

SECOND ACTE.

M. GOSSEC.

C'est celui qui contient le plus de beaux morceaux dans l'ancien ouvrage. Il est plus difficile de mieux faire le chœur : Que tout gémisse. Cependant il peut produire beaucoup plus d'effets lorsque l'on aura rempli avec des instruments à vent l'harmonie, souvent trop faible, et que, dans le chant, on aura, en changeant quelques notes, supprimé d'ennuyeuses cadences, qui gâtent la belle simplicité de ce morceau. L'air suivant : Tristes apprêts, pâles flambeaux, est de la même beauté et veut les mêmes changements. Le chœur de la troisième scène : Que l'Enfer applaudisse, et la marche des lutteurs sont tout ce qu'il faut conserver.
Cet acte sera, je crois, très bien fait par M. Gossec. Je lui ai destiné cet acte parce qu'il a, plus que tous les autres auteurs, beaucoup d'habitude de la scène ; il faut aussi qu'il n'ait en vue que la réussite de l'ouvrage, sans songer à son amour-propre particulier ; car le mérite restera presque en entier à Rameau, et par cela même, sa besogne est la plus difficile et la plus ingrate de tout l'ouvrage.

 

TROISIÈME ACTE.

M. PICCINI.

M. Piccini sera sûrement satisfait d'avoir cet acte à faire en entier, il s'y trouve précisément des situations où cet auteur a toujours parfaitement réussi. L'on se récriera sans doute sur ce que l'on ne conserve point le fameux air : Présent des Dieux. Mais, n'en déplaise à ses partisans, je doute qu'on puisse en faire un plus mauvais.

 

QUATRIÈME ACTE.

M. SACCHINI.

L'acte des Enfers et des Champs-Élysées sera sûrement bien traité par M. Sacchini. Il serait à souhaiter qu'il voulût conserver le chœur : Brisons tous nos fers, et la gavotte en ré du divertissement des ombres heureuses.


CINQUIÈME ACTE.

M. GRÉTRY.

Il est froid, sans intérêt et fort désagréable à faire. Il n'a dû son succès qu'à la pompe du spectacle. Ce qui peut le rendre intéressant, c'est beaucoup de variété dans les airs de ballet. M. Grétry, s'il voulait s'en charger, pourrait nous faire espérer de terminer agréablement cet ouvrage.

 


2003/2007