Monsieur,
Après
avoir examiné tous les moyens possibles pour reproduire
sur la scène l'opéra de Castor, je me suis enfin
arrêté à celui-ci que je vous soumets.
Il
n'est point sans difficultés, mais elles disparaîtront
par le désir d'être agréable à la
Reine, ou avec le grand moteur des actions humaines, l'argent.
On
ne peut se dissimuler qu'il doit être très intéressant,
et très piquant, de voir dans un seul ouvrage les talents
réunis des plus célèbres compositeurs de
l'Europe, distribués de manière que chaque auteur
y peut paraître avec avantage. Le poème de Castor
est le seul drame lyrique qui puisse permettre cette variété.
Chaque acte, pris isolément, offre un spectacle entier,
et l'ensemble du tout est le chef d'uvre de l'Opéra.
C'est ce qui m'a déterminé à donner à
chaque auteur un acte entier à faire, en lui observant
cependant quels sont les morceaux de l'ouvrage de Rameau qui
doivent être conservés. J'ai aussi observé
quel était le genre de musique le plus convenable au
génie de mes auteurs, et c'est ce qui a déterminé
la distribution suivante :
Examen
de l'ouvrage. Choix des auteurs et des morceaux à conserver.
PREMIER ACTE.
M.
LANGLÉ.
Le
premier acte est beau à faire ; il contient à
lui seul tous les beaux mouvements de la tragédie, et
cependant c'est le plus faible de l'ouvrage de Rameau. Je ne
vois à rien à conserver dans le chant, ni même
dans les ballets ; à moins que ce ne soit le premier
menuet et le premier tambourin. M. Langlé, dont je connais
les talents, doit bien s'acquitter de cet ouvrage.
SECOND
ACTE.
M.
GOSSEC.
C'est
celui qui contient le plus de beaux morceaux dans l'ancien ouvrage.
Il est plus difficile de mieux faire le chur : Que tout
gémisse. Cependant il peut produire beaucoup plus d'effets
lorsque l'on aura rempli avec des instruments à vent
l'harmonie, souvent trop faible, et que, dans le chant, on aura,
en changeant quelques notes, supprimé d'ennuyeuses cadences,
qui gâtent la belle simplicité de ce morceau. L'air
suivant : Tristes apprêts, pâles flambeaux, est
de la même beauté et veut les mêmes changements.
Le chur de la troisième scène : Que l'Enfer
applaudisse, et la marche des lutteurs sont tout ce qu'il faut
conserver.
Cet acte sera, je crois, très bien fait par M. Gossec.
Je lui ai destiné cet acte parce qu'il a, plus que tous
les autres auteurs, beaucoup d'habitude de la scène ;
il faut aussi qu'il n'ait en vue que la réussite de l'ouvrage,
sans songer à son amour-propre particulier ; car le mérite
restera presque en entier à Rameau, et par cela même,
sa besogne est la plus difficile et la plus ingrate de tout
l'ouvrage.
TROISIÈME
ACTE.
M.
PICCINI.
M.
Piccini sera sûrement satisfait d'avoir cet acte à
faire en entier, il s'y trouve précisément des
situations où cet auteur a toujours parfaitement réussi.
L'on se récriera sans doute sur ce que l'on ne conserve
point le fameux air : Présent des Dieux. Mais, n'en déplaise
à ses partisans, je doute qu'on puisse en faire un plus
mauvais.
QUATRIÈME
ACTE.
M.
SACCHINI.
L'acte
des Enfers et des Champs-Élysées sera sûrement
bien traité par M. Sacchini. Il serait à souhaiter
qu'il voulût conserver le chur : Brisons tous nos
fers, et la gavotte en ré du divertissement des ombres
heureuses.
CINQUIÈME ACTE.
M.
GRÉTRY.
Il
est froid, sans intérêt et fort désagréable
à faire. Il n'a dû son succès qu'à
la pompe du spectacle. Ce qui peut le rendre intéressant,
c'est beaucoup de variété dans les airs de ballet.
M. Grétry, s'il voulait s'en charger, pourrait nous faire
espérer de terminer agréablement cet ouvrage.
