Ballets
Louis de Cahusac




"to hide art by very art"
"cacher l'art par l'art même"

 



 



 

 



 


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L'article suivant est extrait de l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert.

BALLETS, s. m. danse figurée exécutée par plusieurs personnes qui représentent par leurs pas & leurs gestes une action naturelle ou merveilleuse, au son des instruments ou de la voix.

Tout ballet suppose la danse, & le concours de deux ou de plusieurs personnes pour l'exécuter. Une personne seule, qui en dansant représenterait une action, ne formerait pas proprement un ballet ; ce ne serait alors qu'une sorte de pantomime. Et plusieurs personnes qui représenteraient quelque action sans danse, formeraient une comédie & jamais un ballet.

La danse, le concours de plusieurs personnes, & la représentation d'une action par les gestes, les pas, & les mouvements du corps, sont donc ce qui constitue le ballet. Il est une espèce de poésie muette qui parle, selon l'expression de Plutarque, parce que sans rien dire, elle s'exprime par les gestes, les mouvements & les pas. Clausis faucibus, dit Sidoine Apollinaire, & loquente gestu, nutu, crure, genu, manu, rotatu, toto in schemate, vel semel latebit. Sans danse il ne peut point exister de ballet : mais sans ballet il peut y avoir des danses.

Le ballet est un amusement très ancien. Son origine se perd dans l'antiquité la plus reculée. On dansa dans les commencements pour exprimer la joie ; & ces mouvements réglés du corps firent imaginer bientôt après un divertissement plus compliqué. Les Egyptiens firent les premiers de leurs danses des hiéroglyphes d'action, comme ils en avoient de figurés en peinture, pour exprimer tous les mystères de leur culte. Sur une musique de caractère, ils composèrent des danses sublimes, qui exprimaient & qui peignaient le mouvement réglé des astres, l'ordre immuable, & l'harmonie constante de l'univers.

Les Grecs dans leurs tragédies introduisirent des danses, & suivirent les notions des Egyptiens. Les choeurs qui servaient d'intermèdes, dansaient d'abord en rond de droite à gauche, & exprimaient ainsi les mouvement du ciel qui se font du levant au couchant. Ils appelaient cette danse strophes ou tours.

Ils se tournoient ensuite de gauche à droite pour représenter le cours des planètes, & ils nommaient ces mouvements antistrophes ou retours ; après ces deux danses, ils s'arrêtaient pour chanter : ils nommaient ces chants épodes. Par-là ils représentaient l'immobilité de la terre qu'ils croyaient fixe.

Thésée changea ce premier objet de la danse des Grecs ; leurs choeurs ne furent plus que l'image des évolutions & des détours du fameux labyrinthe de Crête. Cette danse inventée & exécutée par le vainqueur du Minotaure & la jeunesse de Délos, était composée de strophes & d'antistrophes, comme la première, & on la nomma la danse de la grue, parce qu'on s'y suivait à la file, en faisant les diverses évolutions dont elle était composée, comme font les grues lorsqu'elles volent en troupe.

Les ballets furent constamment attachés aux tragédies & aux comédies des Grecs ; Athénée les appelle danses philosophiques ; parce que tout y était réglé, & qu'elles étaient des allégories ingénieuses, & des représentations d'actions, ou des choses naturelles qui renfermaient un sens moral.

Le mot ballet vient de ce qu'originairement on dansait en jouant à la paume. Les anciens, attentifs à tout ce qui pouvait former le corps, le rendre agile ou robuste, & donner des grâces à ses mouvements, avoient uni ces deux exercices ; en sorte que le mot ballet est venu de celui de balle : on en a fait bal, ballet, ballade, & baladin, le ballar & ballo des Italiens & le bailar des Espagnols, comme les Latins en avoient fait ceux de ballare & de ballator, &c.

Deux célèbres danseurs furent à Rome les inventeurs véritables des ballets, & les unirent à la tragédie & à la comédie.

Batile d'Alexandrie inventa ceux qui représentaient les actions gaies, & Pylade introduisit ceux qui représentaient les actions graves, touchantes, & pathétiques.

Leurs danses étaient un tableau fidèle de tous les mouvements du corps, & une invention ingénieuse qui servait à les régler, comme la tragédie en représentant les passions, servait à rectifier les mouvements de l'âme.

Les Grecs avoient d'abord quatre espèces de danseurs qu'on nommait hylarodes, simodes, magodes & lysiodes ; ils s'en servaient pour composer les danses de leurs intermèdes. V. ces mots à leurs différ. articles.

Ces danseurs n'étaient proprement que des bouffons, & ce fut pour purger la scène de cette indécence, que les Grecs inventèrent les ballets réglés, & les choeurs graves que la tragédie reçut à sa place.

Les anciens avoient une grande quantité de ballets, dont les sujets sont rapportés dans Athénée ; mais on ne trouve point qu'ils s'en soient servis autrement que comme de simples intermèdes. Aristote, Platon, &c. en parlent avec éloge ; & le premier est entré, dans sa Poétique, dans un très grand détail au sujet de cette brillante partie des spectacles des Grecs.

Quelques auteurs ont prétendu que c'était à la cruauté d'Hiéron tyran de Syracuse, que les ballets devaient leur origine. Ils disent que ce prince soupçonneux ayant défendu aux Siciliens de se parler, de peur qu'ils ne conspirassent contre lui ; la haine & la nécessité, deux sources fertiles d'invention, leur suggérèrent les gestes, les mouvements du corps & les figures, pour se faire entendre les uns aux autres : mais nous trouvons des ballets, & en grand nombre, antérieurs à cette époque ; & l'opinion la plus certaine de l'origine des danses figurées, est celle que nous avons rapportée ci-dessus.

Le ballet passa des Grecs chez les Romains, & il y servit aux mêmes usages ; les Italiens & tous les peuples de l'Europe en embellirent successivement leurs théâtres, & on l'employa enfin pour célébrer dans les cours les plus galantes & les plus magnifiques, les mariages des rois, les naissances des princes, & tous les événements heureux qui intéressaient la gloire & le repos des nations. Il forma seul alors un très grand spectacle, & d'une dépense immense, que dans les deux derniers siècles on a porté au plus haut point de perfection & de grandeur.

Lucien qui a fait un traité de la danse, entre dans un détail fort grand des sujets qui sont propres à ce genre de spectacle : il semble que cet auteur ait prévu l'usage qu'on en ferait un jour dans les cours les plus polies de l'Europe.

On va donner une notion exacte de ces grands ballets, aujourd'hui tout à fait hors de mode, on a vu quelle a été leur origine & leur succès ; on verra dans la suite leurs changements, leur décadence, & le genre nouveau qu'elle a produit : des yeux philosophes trouvent partout ces commencements, ces progrès, ces diminutions, ces modifications différentes, en un mot, qui sont dans la nature ; mais elles se manifestent d'une manière encore plus sensible dans l'histoire des Arts.

Comme dans son principe, le ballet est la représentation d'une chose naturelle ou merveilleuse, il n'est rien dans la nature, & l'imagination brillante des Poètes n'a pu rien inventer, qui ne fût de son ressort.

On peut diviser ces grands ballets en historiques, fabuleux, & poétiques.

Les sujets historiques sont les actions connues dans l'histoire, comme le siége de Troie, les victoires d'Alexandre, &c.

Les sujets fabuleux sont pris de la fable, comme le jugement de Paris, les noces de Thétis & Pelée, la naissance de Vénus, &c.

Les poétiques, qui sont les plus ingénieux, sont de plusieurs espèces, & tiennent pour la plupart de l'histoire & de la fable.

On exprime par les uns les choses naturelles, comme les ballets de la nuit, des saisons, des tems, des âges, &c. d'autres sont des allégories qui renferment un sens moral, comme le ballet des proverbes, celui des plaisirs troublés, celui de la mode, des aveugles, de la curiosité, &c.

Il y en a eu quelques-uns de pur caprice, comme le ballet des postures, & celui de Bicêtre ; quelques autres n'ont été que des expressions naïves de certains événements communs, ou de certaines choses ordinaires. De ce nombre étaient les ballets des cris de Paris, de la foire S. Germain, des passe-temps, du carnaval, &c. Enfin l'histoire, la fable, l'allégorie, les romans, le caprice, l'imagination, sont les sources dans lesquelles on a puisé les sujets des grands ballets. On en a vu de tous ces genres différents réussir, & faire honneur à leurs différents inventeurs.

Ce spectacle avait des règles particulières, & des parties essentielles & intégrantes, comme le poème épique & dramatique.

La première règle est l'unité de dessein. En faveur de la difficulté infinie qu'il y avait à s'assujettir à une contrainte pareille, dans un ouvrage de ce genre, il fut toujours dispensé de l'unité de tems & de l'unité de lieu. L'invention ou la forme du ballet est la première de ses parties essentielles : les figures sont la seconde : les mouvements la troisième : la Musique qui comprend les chants, les ritournelles, & les symphonies, est la quatrième : la décoration & les machines sont la cinquième : la Poésie est la dernière ; elle n'était chargée que de donner par quelques récits les premières notions de l'action qu'on représentait.

Leur division ordinaire était en cinq actes, & chaque acte était divisé en 3, 6, 9, & quelquefois 12 entrées.

On appelle entrée une ou plusieurs quadrilles de danseurs, qui par leur danse représentent la partie de l'action dont ils sont chargés.

On entend par quadrille ; 4, 6, 8, & jusqu'à 12 danseurs vêtus uniformément, ou de caractères différents, suivant l'exigence des cas. Chaque entrée était composée d'un ou plusieurs quadrilles, selon que l'exigeait le sujet.

Il n'est point de genre de danse, de sorte d'instruments, ni de caractère de symphonie, qu'on n'ait fait entrer dans les ballets. Les anciens avoient une singulière attention à employer des instruments différents à mesure qu'ils introduisaient sur la scène de nouveaux caractères, ils prenaient un soin extrême à peindre les âges, les moeurs, les passions des personnages qu'ils mettaient devant les yeux.

A leur exemple dans les grands ballets exécutés dans les différentes cours de l'Europe, on a eu l'attention de mêler dans les orchestres, les instruments convenables aux divers caractères qu'on a voulu peindre ; & on s'est attaché plus ou moins à cette partie, selon le plus ou le moins de goût de ceux qui en ont été les inventeurs, ou des souverains pour lesquels on les a exécutés.

On croit devoir rapporter ici en abrégé deux de ces grands ballets ; l'un pour faire connaître les fonds, l'autre pour faire apercevoir la marche théâtrale de ces sortes de spectacles. C'est du savant traité du P. Ménétrier Jésuite, qu'on a extrait le peu de mots qu'on va lire.

Le gris de lin était le sujet du premier ; c'était la couleur de Madame Chrétienne de France, duchesse de Savoie, à laquelle la fête était donnée.

Au lever de la toile l'Amour déchire son bandeau ; il appelle la lumière, & l'engage par ses chants à se répandre sur les astres, le ciel, l'air, la terre, & l'eau, afin qu'en leur donnant par la variété des couleurs milles beautés différentes, il puisse choisir la plus agréable.

Junon entend les voeux de l'amour, & les remplit, Iris vole par ses ordres dans les airs, elle y étale l'éclat des plus vives couleurs. L'amour frappé de ce brillant spectacle, après l'avoir considéré, se décide pour le gris de lin, comme la couleur la plus douce & la plus parfaite ; il veut qu'à l'avenir il soit le symbole de l'amour sans fin. Il ordonne que les campagnes en ornent les fleurs, qu'elle brille dans les pierres les plus précieuses, que les oiseaux les plus beaux en parent leur plumage, & qu'elle serve d'ornement aux habits les plus galants des mortels.

Toutes ces choses différentes animées par la danse, embellies par les plus éclatantes décorations, soutenues d'un nombre fort considérable de machines surprenantes, formèrent le fonds de ce ballet, un des plus ingénieux & des plus galants qui aient été représentés en Europe.

On donna le second à la même cour en 1634, pour la naissance du cardinal de Savoie. Le sujet de ce ballet était la Verita nemica della apparenza sollevata dal tempo.

Au lever de la toile on voyoit un choeur de Faux Bruits & de Soupçons, qui précédaient l'Apparence & le Mensonge.

Le fond du théâtre s'ouvrit. Sur un grand nuage porté par les vents, on vit l'Apparence vêtue d'un habit de couleurs changeantes, & parsemé de glaces de miroir, avec des ailes, & une queue de paon ; elle paraissait comme dans une espèce de nid d'où sortirent en foule les Mensonges pernicieux, les Fraudes, les Tromperies, les Mensonges agréables, les Flatteries, les Intrigues, les Mensonges bouffons, les Plaisanteries, les jolis petits Contes.

Ces personnages formèrent les différentes entrées, après lesquelles le Tems parut. Il chassa l'Apparence, il fit ouvrir le nuage sur lequel elle s'était montrée. On vit alors une grande horloge à sable, de laquelle sortirent la Vérité & les Heures. Ces derniers personnages, après différents récits analogues au sujet, formèrent les dernières entrées, qu'on nomme le grand ballet.

Par ce court détail, on voit que ce genre de spectacle réunissait toutes les parties qui peuvent faire éclater la magnificence & le goût d'un souverain ; il exigeait beaucoup de richesse dans les habits, & un grand soin pour qu'ils fussent toujours du caractère convenable. Il fallait des décorations en grand nombre, & des machines surprenantes.

Les personnages d'ailleurs du chant & de la danse en étaient presque toujours remplis par les souverains eux-mêmes, les seigneurs & les dames les plus aimables de leur cour ; & souvent à tout ce qu'on vient d'expliquer, les princes qui donnaient ces sortes de fêtes ajoutaient des présents magnifiques pour toutes les personnes qui y représentaient des rôles ; ces présents étaient donnés d'une manière d'autant plus galante, qu'ils paraissaient faire partie de l'action du ballet.

En France, en Italie, en Angleterre, on a représenté une très grande quantité de ballets de ce genre : mais la cour de Savoie semble l'avoir emporté dans ces grands spectacles sur toutes les cours de l'Europe. Elle avait le fameux comte d'Aglié, le génie du monde le plus fécond en inventions théâtrales & galantes. Le grand art des souverains en toutes choses est de savoir choisir, la gloire d'un règne dépend presque toujours d'un homme mis à sa place, ou d'un homme oublié.

Les ballets représentés en France jusqu'en l'année 1671, furent tous de ce grand genre. Louis XIV. en fit exécuter plusieurs pendant sa jeunesse, dans lesquels il dansa lui même avec toute sa cour. Les plus célèbres sont le ballet des Prospérités des armes de la France, dansé peu de tems après la majorité de Louis XIV. Ceux d'Hercule amoureux, exécuté pour son mariage, d'Alcidiane, dansé le 14 Février 1658 ; des Saisons, exécuté à Fontainebleau le 23 Juillet 1661 ; des Amours déguisés, en 1664, &c.

Les ballets de l'ancienne cour furent pour la plupart imaginés par Benserade. Il faisait des rondeaux pour les récits ; & il avait un art singulier pour les rendre analogues au sujet général, à la personne qui en était chargée, au rôle qu'elle représentait, & à ceux à qui les récits étaient adressés. Ce poète avait un talent particulier pour les petites parties de ces sortes d'ouvrages ; il s'en faut bien qu'il eût autant d'art pour leur invention & pour leur conduite.

Lors de l'établissement de l'opéra en France, on conserva le fond d'un grand ballet : mais on en changea la forme. Quinault imagina un genre mixte, dans lequel les récits firent la plus grande partie de l'action. La danse n'y fut plus qu'en sous-ordre. Ce fut en 1671, qu'on représenta à Paris les Fêtes de Bacchus & de l'Amour, cette nouveauté plut ; & en 1681, le Roi & toute sa cour exécutèrent à Saint-Germain le Triomphe de l'Amour, fait par Quinault, & mis en musique par Lulli : de ce moment il ne fut plus question du grand ballet, dont on vient de parler. La danse figurée, ou la danse simple, reprirent en France la place qu'elles avoient occupée sur les théâtres des Grecs & des Romains ; on ne les y fit plus servir que pour les intermèdes ; comme dans Psyché ; le Mariage forcé, les Fâcheux, les Pygmées, le Bourgeois Gentilhomme, &c. Le grand ballet fut pour toujours relégué dans les collèges. A l'opéra même le chant prit le dessus. Il y avait plus de chanteurs que de danseurs passables ; ce ne fut qu'en 1681, lorsqu'on représenta à Paris le Triomphe de l'Amour, qu'on introduisit pour la première fois des danseurs sur ce théâtre.

Quinault qui avait créé en France l'opéra, qui en avait aperçu les principales beautés, & qui par un trait de génie singulier avait d'abord senti le vrai genre de ce spectacle, n'avait pas eu des vues aussi justes sur le ballet. Il fut imité depuis par tous ceux qui travaillèrent pour le théâtre lyrique. Le propre des talents médiocres est de suivre servilement à la piste la marche des grands talents.

Après sa mort on fit des opéra coupés comme les siens, mais qui n'étaient animés, ni du charme de son style, ni des grâces du sentiment qui était sa partie sublime. On pouvait l'atteindre plus aisément dans le ballet, où il avait été fort au-dessous de lui-même ; ainsi on le copia dans sa partie la plus défectueuse jusqu'en 1697, que la Mothe, en créant un genre tout neuf, acquit l'avantage de se faire copier à son tour.

L'Europe Galante est le premier ballet dans la forme adoptée aujourd'hui sur le théâtre lyrique. Ce genre appartient tout à fait à la France, & l'Italie n'a rien qui lui ressemble. On ne verra sans doute jamais notre opéra passer chez les autres nations : mais il est vraisemblable qu'un jour, sans changer de musique (ce qui est impossible) on changera toute la constitution de l'opéra Italien, & qu'il prendra la forme nouvelle & piquante du ballet François.

Il consiste en trois ou quatre entrées précédées d'un prologue.

Le prologue & chacune des entrées forment des actions séparées avec un ou deux divertissements mêlés de chants & de danses.

La tragédie lyrique doit avoir des divertissements de danse & de chant, que le fond de l'action amène. Le ballet doit être un divertissement de chant & de danse, qui amène une action, & qui lui sert de fondement, & cette action doit être galante, intéressante, badine, ou noble suivant la nature des sujets.

Tous les ballets qui sont restés au théâtre sont en cette forme, & vraisemblablement il n'y en aura point qui s'y soutiennent, s'ils en ont une différente. Le Roi Louis XV. a dansé lui-même avec sa cour, dans les ballets de ce nouveau genre, qui furent représentés aux Tuileries pendant son éducation.

Danchet, en suivant le plan donné par la Mothe, imagina des entrées comiques ; c'est à lui qu'on doit ce genre, si c'en est un. Les Fêtes Vénitiennes ont ouvert une carrière nouvelle aux Poètes & aux Musiciens, qui auront le courage de croire, que le théâtre du merveilleux est propre à rendre le comique.

Les Italiens paraissent penser que la musique n'est faite que pour peindre tout ce qui est de plus noble ou de plus bas dans la nature. Ils n'admettent point de milieu. Ils répandent avec profusion le sublime dans leurs tragédies, & la plus basse plaisanterie dans leurs opéra bouffons, & ceux-ci n'ont réussi que dans les mains de leurs musiciens les plus célèbres. Peut-être dans dix ans pensera-t-on comme eux. Platée, opéra bouffon de M. Rameau, qui est celui de tous ses ouvrages le plus original & le plus fort de génie, décidera sans doute la question au préjudice des Fêtes Vénitiennes & des Fêtes de Thalie, peu goûtées dans leurs dernières reprises.

Peut-être la Mothe a-t-il fait une faute en créant le ballet. Quinault avait senti que le merveilleux était le fond dominant de l'opéra. Pourquoi ne serait-il pas aussi le fond du ballet ? La Mothe ne l'a point exclu : mais il ne s'en est point servi. Il est d'ailleurs fort singulier qu'il n'ait pas donné un plus grand nombre d'ouvrages d'un genre si aimable. On n'a de lui que l'Europe galante qui soit restée au théâtre ; il a cru modestement sans doute que ce qu'on appelle grand opéra, était seul digne de quelque considération. Son esprit original l'eût mieux servi cependant dans un genre tout à lui. il n'est excellent à ce théâtre que dans ceux qu'il a créés.

Il y a peut-être encore un défaut dans la forme du ballet créé par la Mothe. Les danses n'y sont que des danses simples : nulle action relative au sujet ne les anime ; on danse dans l'Europe galante pour danser. Ce sont à la vérité des peuples différents qu'on y voit paraître : mais leurs habits plutôt que leurs pas annoncent leurs divers caractères ; aucune action particulière ne lie la danse avec le reste de l'acte.

De nos jours on a hasardé le merveilleux dans le ballet, & on y a mis la danse en action : elle y est une partie nécessaire du sujet principal. Ce genre, qui a plu dans sa nouveauté, présente un plus grand nombre de ressources pour l'amusement du spectateur, des moyens plus fréquents à la poésie, à la peinture, à la musique, d'étaler leurs richesses ; & au théâtre lyrique, des occasions de faire briller la grande machine, qui en est une des premières beautés : mais il faut attendre la reprise des Fêtes de l'Hymen & de l'Amour, pour décider si ce genre est le véritable.

De tous les ouvrages du théâtre lyrique, le ballet est celui qui paraît le plus agréable aux François. La variété qui y règne, le mélange aimable du chant & de la danse, des actions courtes qui ne sauraient fatiguer l'attention, des fêtes galantes qui se succèdent avec rapidité, une foule d'objets piquants qui paraissent dans ces spectacles, forment un ensemble charmant, qui plaît également à la France & aux étrangers.

Cependant parmi le grand nombre d'auteurs célèbres qui se sont exercés dans ce genre, il y en a fort peu qui l'aient fait avec succès ; on a encore moins de bons ballets que de bons opéra, si on en excepte les ouvrages de Mr. Rameau, du sort desquels on n'ose décider, & qui conserveront, ou perdront leur supériorité, selon que le goût de la nation pour la musique se fortifiera, ou s'affaiblira par la suite. Le théâtre lyrique qui peut compter à-peu-près sur huit ou dix tragédies dont la réussite est toujours sûre, n'a pas plus de trois ou quatre ballets d'une ressource certaine ; l'Europe galante, les Elémens, les Amours des Dieux, & peut-être les Fêtes Grecques & Romaines. D'où vient donc la rareté des talents dans un pareil genre ? Est-ce le génie ou l'encouragement qui manquent ? Plutarq. Sid. Apoll. Athén. Arist. Poetique. Platon. Hist. de la danse par Bonnet. Lucien. L. P. Menestrier J. Traité des Ballets, &c. (B)

BALLETS aux chansons ; ce sont les premiers ballets qui ayent été faits par les anciens. Eriphanis, jeune grecque, qui aimait passionnément un chasseur nommé Menalque, composa des chansons par lesquelles elle se plaignait tendrement de la dureté de son amant. Elle le suivit, en les chantant, sur les montagnes & dans les bois : mais cette amante malheureuse mourut à la peine. On était peu galant, quoi qu'en disent les Poètes, dans ces tems reculés. L'aventure d'Eriphanis fit du bruit dans la Grèce, parce qu'on y avait appris ses chansons ; on les chantait, & on représentait sur ces chants les aventures, les douleurs d'Eriphanis, par des mouvements & des gestes qui ressemblaient beaucoup à la danse.

Nos branles sont des espèces de ballets aux chansons. A l'opéra on peut introduire des ballets de ce genre. Il y a une sorte de pantomime noble de cette espèce dans la troisième entrée des Talens Lyriques, qui a beaucoup réussi, & qui est d'une fort agréable invention. La danse de Terpsichore, du prologue des Fêtes Grecques & Romaines, doit être rangée aussi dans cette classe. Le P. Ménétrier, traité des ballets

 

2003/2007