Anacréon
Le
Théâtre représente l'appartement d'Anacréon orné pour une fête,
on y voit les statues de l'Amour & de Bacchus. Trois arcades
ouvertes laissent voir un salon d'architecture grecque, avec
des buffets garnis de vases, etc. Anacréon paraît à table au
milieu de ce salon avec plusieurs convives, environnés de jeunes
Esclaves qui leur versent à boire, qui les couronnent de fleurs
& qui dansent entour d'eux. Lycoris, maîtresse d'Anacréon,
est toujours à leur tête.
Scène
première.
ANACREON,
(LYCORIS personnage dansant.),
AGATHOCLE, EURICLES, CONVIVES.
ESCLAVES, jeunes GRECQUES.
ANACREON,
AGATHOCLE, EURICLES.
Règne, ô divin Bacchus ! Enflamme nos esprits :
Que le transport de ton ivresse
A chaque instant renaisse
Avec la tendresse & les ris.
Règne, ô divin Bacchus ! Enflamme nos esprits.
ANACREON.
Le vol du temps qui nous presse,
Nous fait mieux sentir le prix
De l'instant fortuné que le Destin nous laisse.
ANACREON
& les CONVIVES.
Règne, ô divin Bacchus ! Enflamme nos esprits.
ANACREON,
s'adressant à LYCORIS
dans le temps qu'elle danse autour de lui et qu'elle lui verse
à boire.
Nouvelle Hébé, charmante Lycoris,
Vole, répands sur nous les fleurs de ta jeunesse ;
Par tes dons, par tes yeux rends nos coeurs plus épris.
Verse-nous le nectar, fais-le couler sans cesse.
Charmante Lycoris,
Sois dans ce temple heureux, l'adorable Prêtresse,
De tous les Dieux que je chéris.
CHOEUR.
Règne, ô divin Bacchus ! Enflamme nos esprits.
ANACREON
à LYCORIS.
Que l'amante d'Alcide au séjour du tonnerre
Soit jalouse de tes bienfaits,
Et vienne sur la terre
Voir les Dieux que tu fais.
(Ici
la danse de Lycoris devient plus vive, & rend plus gais
les chants d'Anacréon.)
Point
de tristesse :
Passons nos jours
Dans les amours
Et dans l'ivresse
Buvons sans cesse,
Aimons toujours.
Le
vin, la tendresse,
Convive, maîtresse
M'invite à jouir.
Tout plaisir m'enchante,
Je bois, ris & chante ;
Toujours dans l'attente
D'un nouveau plaisir.
(Ces
chants sont interrompus par une bruyante symphonie. La prêtresse
de Bacchus paraît suivie d'une troupe de femmes inspirées, représentant
les Ménades, portant des thyrses & des flambeaux.)

Scène
II.
ANACREON,
la PRETRESSE de BACCHUS,
Femmes représentant les MENADES, & les Acteurs de la scène
précédente.
ANACREON.
Quel bruit ? Quelle clarté vient ici se répandre !
Prêtresses où courez-vous ? Quels transports furieux ?
CHOEUR
de MENADES, suivi de leurs danses tumultueuses.
Détruisons un culte odieux.
La
PRETRESSE à ANACREON.
Favori de Bacchus, oses-tu faire entendre
Les chants qui profanent ces lieux ?
CHOEUR
de MENADES.
Détruisons un culte odieux.
La
PRETRESSE.
Renversons cet autel.
ANACREON,
se levant pour s'opposer à leur fureur.
Ah, laissez-moi défendre
Le plus charmant de tous les Dieux !
La
PRETRESSE, en l'arrêtant.
Cesse ton criminel hommage ;
Chasse l'Amour
De ce séjour.
Avec Bacchus point de partage :
C'est un outrage.
ANACREON.
Et, pourquoi donc les séparer ?
Quand la volupté les rassemble.
La
PRETRESSE.
L'Amour nous ferait soupirer.
ANACREON.
A la table des Dieux on les adore ensemble.
Eh, pourquoi donc les séparer ?
(On
voit ici dans un Ballet figuré un combat entre les suivants
d'Anacréon & ceux de la Prêtresse. Lycoris qu'on veut arracher
de ces lieux, paraît toujours au milieu de la Danse, poursuivie
par une Ménade. La Symphonie exprime la fureur des uns &
les gémissements des autres. Les Bacchantes ont enfin le dessus :
Lycoris disparaît, & l'on brise la statue de l'Amour.)
La
PRETRESSE.
Bacchus remporte la victoire.
AGATHOCLE,
ramenant Anacréon à table.
Ce Dieu suffit à nos désir :
Renouvelons nos chants, goûtons mieux ses plaisirs.
Le
même avec la PRETRESSE & les CHOEURS.
Ne suivons que Bacchus ; ne chantons que sa gloire.
AGATHOCLE,
à Anacréon.
L'Amour nous coûtait trop de soins.
Ne suivons que Bacchus ; ne chantons que sa gloire.
(Lycoris,
qui s'est échappée, reparaît encore sur la scène, & vole
vers Anacréon, qui lui tend les bras.)
ANACREON.
Ah, laissez-moi du moins,
Laissez-moi Lycoris pour me verser à boire.
La
PRETRESSE, à sa suite.
Eloignez cet objet qui blesse ici nos yeux.
Amis d'Anacréon, redoublez son ivresse.
Et nous pleins du Dieu qui nous presse,
Poursuivons l'Amour en tous lieux.
(On
enlève Lycoris. La Prêtresse & sa suite se retirent. Anacréon
reste plus rêveur, & les chants reprennent.)

Scène
III.
ANACREON,
AGATHOCLE, EURICLES,
& les autre s CONVIVES.
LE
CHOEUR.
Bacchus remporte la victoire.
Ne suivons que Bacchus ; ne chantons que sa gloire.
(Une
Symphonie plus douce, annonce & prépare le sommeil des Convives.)
AGATHOCLE.
Mais un divin sommeil vient calmer nos esprits :
Cédons à ce charme invincible.
ANACREON.
Mais yeux en se fermant auraient vu Lycoris.
AGATHOCLE.
L'Amour ne donne point un repos si paisible.
Laissons veiller l'Amour & les jaloux.
ANACREON,
AGATHOCLE & EURICLES.
Avec Bacchus endormons-nous.
(Ici
les voix s'affaiblissent imperceptiblement ; les lampes
s'éteignent. Les rideaux tombent & ferment les arcades.
Anacréon paraît endormi sur un lit de repos à l'un des côtés
du Théâtre.)

Scène
IV
ANACREAON,
L'AMOUR.
(La
plus douce Symphonie accompagne le sommeil d'Anacréon. Il est
interrompu par le bruit du Tonnerre, & l'on entend un Orage.)
ANACREON.
Qui m'éveille ? J'entends le tonnerre qui gronde.
Quels sifflements ! Quel bruit ! Eole est-il déchaîné.
Bacchus, que n'as-tu donné
Ton ivresse la plus profonde !
En vain Jupiter eut tonné.
L'AMOUR,
derrière le Théâtre.
Quelle nuit ! O ciel, quel orage !
ANACREON.
Quels sons plaintifs !
L'AMOUR.
Hélas ! Je vais périr.
ANACREON.
C'est la voix d'un enfant.
L'AMOUR.
Dieux, quel affreux ravage !
ANACREON.
La tempête redouble ; allons le secourir.
(Il
se lève pour ouvrir à l'Amour, qui paraît en habit d'Esclave,
& dans un grand désordre.)
Que
vois-je ? De pitié mon âme est attendrie.
Jeune infortuné, quel malheur
Expose votre vie ?
Parlez.
L'AMOUR.
Je suis encore tout glacé de frayeur.
ANACREON.
Où vîtes-vous le jour ?
L'AMOUR.
Cythère est ma patrie.
ANACREON.
A quel maître êtes-vous ?
L'AMOUR.
Je servais Lycoris ;
J'étais son esclave fidèle.
Un ingrat, qu'elle aimait, la quitte avec mépris.
Le courroux s'est emparé d'elle ;
J'ai moi-même éprouvé ses transports furieux :
J'ai fui sa disgrâce cruelle ;
Et mes pas égarés m'ont conduit en ces lieux.
ANACREON.
Quoi ! Lycoris brûlait d'une ardeur aussi tendre ?
L'AMOUR.
Si l'ingrat avait pu l'entendre !
S'il eut vu son funeste sort !
Mais songe-t-il à son Amante ?
Dans les bras de l'Amour, Lycoris est mourante ;
Et dans ceux de Bacchus le parjure s'endort.
ANACREON.
Quel est donc cet amant coupable ?
L'AMOUR.
Ah, de tous les mortels il fut le plus aimable.
Avant
ce jour
C'était l'Amour
Qui tenait chez lui son empire.
Les Grâces montaient sa lyre ;
Les Jeux venaient à l'entour
Danser, folâtrer & rire.
Aujourd'hui
la fureur, d'un bachique délire
Les a bannis de ce séjour.
ANACREON.
Le déclin de l'âge
Peut-être l'engage
A quitter leur Cour.
On fuit avec moins de peine
Un vieillard comme Sylène
Qu'un enfant comme l'Amour.
L'AMOUR.
L'infidèle sur ses traces
Guiderait encore les Grâces,
Et je sais que Lycoris
De l'Amant qui l'abandonne
N'aurait pas donné l'automne
Pour le printemps d'Adonis.
ANACREON.
Quel plaisir je goûte à l'entendre !
Mais que mon coeur éprouve un rigoureux tourment !
L'AMOUR.
Vous soupirez !
ANACREON.
Je ne puis m'en défendre.
Je suis ce criminel Amant.
L'AMOUR,
avec vivacité.
Qu'entends-je ! Lycoris, peut-être, vit peut-être :
Hâtez-vous : ah ! Rendez le jour
A l'Amante qui vous adore.
Par la voix de l'Amour, la pitié vous implore.
ANCREON,
le considérant attentivement.
Mais vous, que j'observe à mon tour,
Enfant mystérieux, que je cherche à connaître...
Esclave... Ah !... Vous êtes mon Maître :
Et je fuis aux pieds de l'Amour.
(Il
s'y jette, & dit avec transport.)
Rendez-moi
Lycoris ; je quitte tout pour elle.
L'AMOUR.
Volez, Amours ; venez troupe immortelle :
Rendez à ses désirs
Une Amante fidèle.
Annoncez ma victoire, & chantez mes plaisirs.
(Les
rideaux se lèvent. Le fond du Théâtre reparaît. Une troupe de
Jeux, de Ris & d'Amours entre gaiement sur le Théâtre. Les
Grâces ramènent Lycoris, que l'Amour présente à Anacréon.)

Scène
V.
L'AMOUR,
ANACREON, LYCORIS, les GRACES, PLAISIRS, RIS & JEUX, &c.
ANACREON,
entre l'AMOUR & LYCORIS.
Sans Vénus & sans ses flammes
Tous nos beaux jours sont perdus :
Les vrais plaisirs ne sont dus
Qu'à l'ivresse de nos âmes.
Si
le Dieu, rival des Amours,
Si Bacchus condamnait l'ardeur qui me dévore,
En montrant Lycoris, je lui dirais encore,
Je lui dirais toujours :
Sans
Vénus & sans ses flammes
Tous nos beaux jours sont perdus :
Les vrais plaisirs ne sont dus
Qu'à l'ivresse de nos âmes.
Si
je partage mon choix,
Si je bois,
Amour n'en prends point d'ombrage :
Ce breuvage
Donne plus de force à ma voix :
Sans
Vénus & sans ses flammes
Tous nos beaux jours sont perdus :
Les vrais plaisirs ne sont dus
Qu'à l'ivresse de nos âmes.
(Les
Choeurs chantent alternativement avec Anacréon ce rondeau. Lycoris
en dansant, rend grâce à l'Amour & à Anacréon. Un prélude
annonce le retour des Ménades.)

Scène
VI.
La
PRETRESSE de BACCHUS, MENADES, EGYPANS, & les ACTEURS de
la Scène précédente.
CHOEUR
de MENADES,
qu'on entend d'abord derrière le Théâtre.
Le chant d'Anacréon, dans ces lieux, nous rappelle :
Des autels de l'Amour, allons voir les débris.
La
PRETRESSE
surprise de voir cette Fête galante, & de retrouver
ANACREON entre LYCORIS & l'AMOUR.
Quoi, toujours Lycoris !
ANACREON.
Et toujours l'Amour avec elle.
L'AMOUR,
dont la présence en impose à la PRETRESSE
& à sa suite.
L'Amour est le Dieu de la paix :
Règne avec lui Bacchus, partage ses conquêtes.
Il lance par tes mains de plus rapides traits ;
Viens, triomphe, embellis nos Fêtes,
Mais ne les trouble jamais.
(Les
Suivants de Bacchus vont au pied de la Statue de l'Amour, qui
est rétablie, porter leurs Thyrses & leurs couronnes. La
Suite de l'Amour va de son côté orner de Myrthes & de Fleurs
la Statue de Bacchus. Les Choeur de Danse se mêlent. Lycoris
préside à la fête.)
LES
CHOEURS.
Quel bonheur pour nous ! Quelle gloire !
Tout s'unit pour nous enflammer.
Bacchus ne défend pas d'aimer :
Et l'Amour nous permet de boire.
(Ce
Choeur & la Contre-Danse qui le suit, sont accompagnés du
bruit des Sistres & autres instruments bachiques.)
FIN
D'ANACREON
(fin de du Ballet).